Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Contrebandier de mots – Le plus élégant fantôme de l’histoire du spleen musical revient nous hanter le temps d’un Live In London langoureux, forcément langoureux.

« Live in London »

Double CD et DVD Live In London.

Escroqué par un conseiller financier en 2005, Leonard Cohen s’en trouva bien démuni et, à l’âge respectable de 73 piges, repartit donc en tournée trois ans plus tard afin de renflouer ses caisses de retraité désormais dépourvu. Cette fable aux relents coutumiers de l’industrie du disque (cf. les récents déboires de Rihanna) a donc frappé le saint-chanteur canadien, depuis longtemps canonisé par des légions de stars admiratives (Nick Cave, REM, Murat). Ce Live monétaire est bouclé dans le hall de gare londonien utilisé par Prince et, bientôt, Michael Jackson, espace qui, a priori, ne convient guère au style confessionnel du vieux Cohen. Pourtant, c’est là qu’il remet en selle un répertoire dont les plus anciennes et plus fameuses chansons datent de la fin des années 60. Il y a trois siècles, donc. Des titres qui avec d’autres plus récents ( Suzanne, Bird On A Wire, Who By Fire, So long, Marianne, First We take Manhattan) sont coulés dans une écriture qui croise la rédemption, l’amour, la repentance, les déchirures que la vie se charge généreusement de pourvoir, y compris à ceux qui n’en demandaient pas tant. Le biblique Cohen s’avance en poète soldat, armé de sa voix profonde de baryton et de textes, mystiques et sensuels, en ironie blindée. Ceux-ci étalent nos faiblesses et nos espoirs avec un sens de la cruauté presque débonnaire. A l’image du personnage zen, capable de coup de sang – lorsqu’il part défendre Israël en guerre – comme de retraite prolongée dans un monastère californien.

A GOLden voice

Un drôle de pékin qui pratique un humour imprégné de dérision incurable. Dans Tower Of Song où il chante  » I was born with the gift of a golden voice », Leonard demande au public extatique s’il veut la  » réponse aux mystères« ? Un oui massif et plein d’attente explose de la foule. Et là, Vieux Malin se contente de reprendre le refrain baladé par les choristes depuis plus de deux minutes:  » Du dum dum/Du dum dum ». Humour juif pour un septuagénaire en état de grâce. Ravi d’être là, pour la première fois sur scène depuis quinze ans…, multipliant les vibrants « Thank you so much ». Son orchestre de neuf musiciens et choristes a quelques raisons de le contenter: il pratique un style de ramdam cabaretier qui aurait du chien et de l’âme, du jus et du ressort. Poussant le folk naturel des chansons fantomatiques de Cohen dans des refuges naturellement soul: les trois vocalistes femelles en particulier, tricotant un mur du son aussi solide que l’Ancien Testament. La sonorité gagne aussi une pointe de Méditerranée – Cohen a longtemps résidé en Grèce – avec le multi-instrumentiste Javier Mas qui manie les orientaux bandoura et laud pour un bonus de tonalités voyageuses. Il y a plusieurs moments exceptionnels dans ce très bel ouvrage: sa version dense d’ Hallelujah, sa restitution de The Future et puis ce poème simplement dit sur fond de synthés d’une voix qui, de toute évidence, surgit de la nuit des temps, A Thousand Kisses Deep: « I’m good at love, I’m good at hate / It’s in between I freeze ». La messe est dite…

www.leonardcohen.com

Philippe Cornet

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