Illustratrice de livres pour enfants, Rébecca Dautremer franchit le pas du cinéma d’animation avec l’épatant Kérity, la maison des contes. Tour du propriétaire.

Kérity, la maison des contes, film d’animation enchanteur de Dominique Monféry, sur nos écrans depuis quelques jours (critique dans Focus du 11/12), c’est inévitablement tomber sous le charme d’une histoire magique, mais aussi de l’univers graphique de Rébecca Dautremer. Voyage au pays des contes en compagnie d’un garçonnet et de personnages bien connus – les Alice, Petit Chaperon Rouge et beaucoup d’autres encore – sortis des pages de leurs livres, l’histoire trouve dans son trait l’invitation à s’y laisser transporter avec délice. Un essai en forme de coup de maître, pour une illustratrice venue du monde de l’édition – on lui doit notamment Princesses oubliées ou inconnues, mais encore Swing Café, parmi quantité d’autres livres -, qui n’avait encore jamais eu l’occasion de tâter du cinéma.

Le souci du détail

« Le projet a été initié par le studio d’animation La Fabrique, commence-t-elle, alors qu’elle nous reçoit dans son atelier parisien, entre plans de travail bien garnis, maquette de Kérity, montages destinés à l’exposition consacrée au film à la Maison des Contes, affiche de Bombon el perro, et autres éléments hétéroclites composant un joyeux capharnaüm. Ils ont l’habitude de travailler depuis quelques années avec des illustrateurs issus de l’édition papier pour leur confier la direction artistique de projets. C’est ainsi qu’ils m’ont proposé de travailler comme auteur graphique sur ce projet dont le scénario avait été écrit par Anik Le Ray… » Une coproduction se met en place, et ce qui devait être un 56 minutes pour la télévision se transforme en long métrage de cinéma -« l’expérience était plus modeste au départ, et ne me faisait pas peur. ça m’a permis d’y aller tranquillement. Sinon, cela m’aurait inquiétée: la charge est tout de même lourde. »

Ampleur du projet, travail en équipe, impératifs techniques, c’est un univers inconnu que découvre l’artiste: « Passer d’un livre à l’animation, ce sont deux choses vraiment différentes, observe-t-elle. Dans un livre, j’ai très peu d’images, et elles sont figées, elles sont là pour être « contemplées ». Là, on fait des images pour qu’elles soient utilisées dans le temps. Elles ne sont pas là pour être prises une à une, mais pour être mises bout à bout, c’était compliqué à appréhender. J’avais peut-être trop tendance à travailler sur un décor que l’on voyait une demi-seconde, alors qu’il faut ménager sa peine, et placer ses heures de travail au bon endroit… » Pas question de se renier pour autant: « J’ai toujours adoré qu’il y ait plein de détails dans les images. Et dans le film, on me demandait de préserver mon design, ma personnalité graphique, ce que j’ai fait. On a fait tous les décors aussi loin que cela me semblait nécessaire. Cela donne une unité au film, une impression, et une âme au lieu. Je ne regrette pas du tout d’avoir un peu forcé les décorateurs à pousser les choses. »

Habituée à la solitude de son atelier, Rébecca Dautremer aura, pour le coup, découvert les contraintes du travail en équipe. « Je ne suis que l’auteur graphique du film, il y a d’abord eu les demandes du réalisateur. Pour qu’il puisse faire son travail, j’ai d’abord dû définir les lieux. Le décor influence la mise en scène, et on a commencé comme cela: définir la maison, la bibliothèque, la plage. J’ai fait un plan pour savoir où le soleil se levait et se couchait, comment seraient les ombres, etc. Dominique Monféry a préparé sa mise en scène, et une fois le story-board terminé, j’ai pu faire des références plus précises des lieux, pour que les décorateurs puissent commencer leur travail. » Lequel serait rien moins que considérable, si l’on sait qu’un millier de décors environ ont été dessinés au crayon pour les besoins du film, leurs couleurs étant obtenues et appliquées sur base de textures créées à la main, elles aussi. Soit l’une des étapes d’un processus de création plus rigide par ailleurs que ce à quoi son expérience l’avait habituée. « On remplit des cases, plus que dans un livre, où on se laisse aller à chaque case en prenant du temps. Mais j’ai eu tendance à travailler un peu comme d’habitude pour mes livres, au feeling et à l’instinct. Au début, cela a troublé le réalisateur, il avait l’habitude de choses plus carrées. Mais il a été sympa et a accepté de me laisser faire à ma façon… »

Un casting de rêve

S’agissant des personnages de contes, et de leurs traits distinctifs, les auteurs ont procédé à une forme de casting: « Certains sont mis très en avant, comme Alice et le lapin, l’ogre qui est un ogre générique, la fée Carabosse… Ceux-là étaient assez définis dans le scénario. Mais il fallait aussi les figurants. On s’est amusés, avec Dominique Monféry, à faire une liste de tous les personnages que l’on connaissait. Après, il a fallu les dessiner, leur donner une posture. La Belle au bois dormant, par exemple, je l’ai dessinée en train de bâiller. Du coup, le réalisateur l’a fait parler en bâillant, l’actrice a dû bâiller. En cela j’ai pu influencer un petit peu le caractère des personnages et, du coup, la mise en scène. » Cela, tout en intégrant une présence souvent prédéfinie dans l’imaginaire collectif. « Le jeu consistait à faire reconnaître le personnage tout en s’amusant à le décaler un petit peu. Les références que l’on a viennent souvent de Disney. Il n’y a pas de problème avec cela, mais ce sont des images très fortes. Alice, on l’imagine blonde, avec son petit tablier blanc et sa robe bleue, et pourtant, elle n’est en aucun cas décrite comme cela dans le texte original de Lewis Carroll… Il fallait voir jusqu’où on pouvait se détacher de ces grosses références. Alice, ce n’est que tout à la fin qu’on l’a mise en rouge. J’ai vu cela comme un jeu: voir jusqu’où on pouvait aller pour les reconnaître, ou pas.  » Quant à Natanaël, le héros presque malgré lui de cette histoire? « C’est un petit bonhomme plus fragile, quelqu’un d’un peu réservé. J’ai pensé à mes frères qui avaient une coupe au bol dans les années 70, un peu longue et un peu mal faite. Après, dans le mouvement, dans l’animation, ces détails-là peuvent disparaître, mais c’était l’idée de départ. »

Une façon aussi, peut-être, de donner une résonance encore plus personnelle à une histoire qui ne manquait pas de lui parler. « Illustrer des contes est quelque chose qui m’est familier, c’est un peu toute ma vie, en fait. Cela peut paraître un peu niais, mais moi, j’y crois. Quand j’illustre un livre ou un conte, je crois aux personnages que je dessine. Imaginer qu’ils puissent sortir de leur livre ne me trouble pas du tout, je trouve que c’est une idée vraiment séduisante, et une fantaisie dans laquelle j’aime me glisser. »

Quant à savoir si ce conte aura une suite? « C’était une aventure super et, surtout, une grande chance. Par rapport à mon travail, le fait d’avoir eu à travailler dans le temps et dans le mouvement va me faire remettre en question ce que je peux faire dans mes livres. C’est une expérience très riche et pleine d’enseignements, même si frustrante en même temps, parce que la technique et les moyens limitent les choses. Mais cela me donne fort envie de recommencer… »

Kérity, la maison des contes en salles depuis le 16 décembre. La sortie du film est accompagnée par la parution de trois ouvrages chez Flammarion, le grand album du film, l’album du film, et l’album CD du film, ce dernier avec les esquisses et crayonnés de Rébecca Dautremer.

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Paris.

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