1994. Trente ans après l’arrêt définitif du tournage d’Henri-Georges Clouzot, tous espoirs noyés sous le viaduc de Garabit, L’Enfer sort sur les écrans. Le film est signé Claude Chabrol, qui trouve dans le scénario de son illustre prédécesseur matière à un drame bourgeois comme il les affectionne. Dans Un jardin bien à moi, son recueil de conversations avec François Guérif (1), l’auteur de La Cérémonie explique comment il entreprit ce projet singulier. « Marin Karmitz m’a parlé d’un scénario de Clouzot, que lui avait transmis sa veuve, Inès. Je savais que c’était un scénario sur la jalousie, et je connaissais l’histoire du film interrompu. Clouzot m’avait parlé du scénario – à l’époque nous jouions souvent au bridge ensemble. »

Des trois versions du scénario, Chabrol adopte la première, « sans trahir Clouzot, mais en ne la développant pas dans la même direction. » Et en décochant, au passage, quelques traits assassins à l’intention de ce dernier. Ainsi, particulièrement, s’agissant de partager son impression à la découverte des quelques scènes mises en boîte par Clouzot: « Elles sont cucul, c’est terrible. Des scènes insensées de ski nautique, tournées au bord du lac, avec Romy Schneider écartant et resserrant les cuisses pendant une journée entière. C’était appuyé, obsessionnel. Il se gourait totalement, à mon avis. » Le drame que noue Chabrol à L’hostellerie du lac ne manque pas de troubler, en effet. Soit l’histoire de Paul et Nelly – François Cluzet et Emmanuelle Béart ont repris les rôles de Serge Reggiani et Romy Schneider -, jeune couple d’hôteliers heureux selon toute apparence. Avec une réserve, toutefois: Nelly a tout pour plaire, voire trop. Aguicheuse presque malgré elle, avec en sus ce qu’il faut de désinvolture et de légèreté dans sa gestion du temps pour que son mari y voie matière à suspicion. Le quotidien se mue bientôt en enfer, à mesure que Paul cède à une jalousie de plus en plus maladive, glissement vers la folie auquel François Cluzet apporte une vérité saisissante, en même temps que Chabrol donne à son film des contours judicieusement tortueux. Dommage, toutefois, que le cinéaste semble, en ultime recours, se désintéresser d’une histoire qui perd en intérêt à mesure qu’elle verse dans l’hystérie. Si bien que son enfer, fut-il pavé des meilleures intentions cinématographiques, laisse en dernière instance un sentiment d’inachevé. Chabrol y apporte du reste la ponctuation idoine, avec un Sans fin peu usité. Ce en quoi il respectait le scénario de Clouzot, et qu’il commentait d’ailleurs non sans à propos: « Le truc qui s’appelle « L’Enfer », si on met « fin », ce n’est plus l’enfer. »

(1) éditions Denoël.

J.F. PL.

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