LA RÉALISATRICE MAROCAINE PREND LA RÉALITÉ TANGÉROISE À BRAS-LE-CORPS, SUR LES PAS DE JEUNES OUVRIÈRES S’Y FRAYANT UN CHEMIN À L’ARRACHE. À DÉCOUVRIR D’URGENCE.

Elles s’appellent Badia, Imane, Asma et Nawal, et comptent parmi les centaines d’ouvrières tangéroises dont le va-et-vient donne son pouls à la ville, « crevettes » pour les unes, employées à décortiquer des crustacés, « textiles » pour les autres, plus chanceuses, affectées à des ateliers de confection. Soit quatre jeunes filles marocaines d’aujourd’hui, travaillant pour survivre le jour comme pour mieux vivre la nuit, avec un sens consommé de la débrouille et au-delà, portées par une énergie viscérale et l’urgence de leurs 20 ans.

Ce quatuor électrique constitue aussi le coeur de Sur la planche, premier long métrage de fiction de Leïla Kilani, réalisatrice casablancaise au background de documentariste. « Pour moi, il n’y a pas de ligne entre le documentaire et la fiction », commence-t-elle, histoire de baliser le terrain, alors qu’on la rencontre à l’occasion du festival de Marrakech. Et d’expliquer sa démarche plus avant: « Je suis partie d’une matière documentée, et non documentaire. Pendant que je tournais mon premier film, j’ai vu Tanger se transformer. Tant visuellement que du point de vue sonore, j’ai été frappée par les armées de femmes qui envahissaient la ville: c’était une espèce d’onde charnelle qui la secouait, et cette puissance est venue envahir mon champ imaginaire. A partir de là, j’ai eu envie de travailler sur quelque chose qui aurait l’air de partir de cette matière documentaire correspondant à mon émotion première et dont je voulais garder l’impulsion primitive. Après quoi, j’ai rencontré des milliers de filles avec qui j’ai discuté, et cela m’a donné une matière documentée, d’où j’ai tiré un scénario. »

La cousine de Rosetta

Pour lui donner forme, Leïla Kilani décide d’emprunter aux codes du polar, si ce n’est qu’elle substitue au traditionnel héros masculin la meneuse de ce gang de filles, Badia, une sorte de Billy the Kid au féminin. A moins qu’il ne faille y voir la cousine de la Rosetta des frères Dardenne, parenté à laquelle elle souscrit volontiers. « Sur une âpreté, sur la nécessité de dégraisser au maximum, sur une pratique d’un cinéma pauvre au sens noble du terme, effectivement. Je suis viscéralement attachée à un cinéma qui se met en péril, qui ne pratique pas l’audace pour l’audace, mais est dans le questionnement permanent, dans cette tension », approuve la cinéaste. Ne voulant rendre de comptes à personne d’autre qu’à elle-même, Badia évolue aussi à rebours des stéréotypes, dont elle s’affranchit avec panache et effronterie, en écho à un contexte mouvant. « Elle incarne les mutations que traverse le Maroc, mais elle pourrait être hongkongaise, mexicaine, bolivienne, indonésienne, tradeuse à la Défense ou workaholic à Wall Street », souligne la cinéaste. Avant de conclure: « La chose qui m’a le plus émue, c’est l’identification assez passionnée des adolescents à ce film, sans condition sociologique; que Sur la planche résonne avec ce public-là, et pas communautairement. » Une manière de Fureur de vivre pour les temps présents; à découvrir de toute urgence.

SUR LA PLANCHE, JUSQU’AU 09/06 AU NOVA, RUE D’ARENBERG, BRUXELLES.

WWW.NOVA-CINEMA.ORG

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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