L’éditeur du mois

L'équipe, avec quelques autres bénévoles sur un festival.

L’éditeur bruxellois et indé, L’Employé du Moi, qui se refuse à éditer trop d’albums, ne sort donc que des perles. Il vient ainsi de clôturer les formidables mini-séries de Pierre Maurel et Mortis Ghost, qui n’ont en commun que leur goût du récit.

D’un côté, un intello, précaire témoin de son temps -le nôtre-, qui trouve enfin l’amour entre intérims, ratonnades de CRS et désir de changement. De l’autre, dans une galaxie lointaine, très lointaine, l’équipage du Plescops qui s’apprête à affronter à coups de gentillesse leur ancien capitaine, devenu démiurge délirant à cause d’une satanée flèche d’argent créée 50 000 ans plus tôt sur la planète Jaggar! Effectivement, tout semble séparer Michel, la chronique contemporaine, engagée et semi-réaliste du Français Pierre Maurel, et Dr Cataclysm, la saga de science-fiction cosmi-comique du Belge Mortis Ghost, si ce n’est un usage très personnel du noir et blanc, un même formidable talent de raconteur d’histoires, une énergie née dans les fanzines et baignée de DIY, et surtout un même éditeur, L’Employé du Moi, dont l’aura et la qualité ont depuis longtemps dépassé les frontières de Bruxelles, où il est installé depuis son lancement, il y a 20 ans. Une petite structure (cinq personnes, toutes bénévoles), un petit catalogue (une septantaine de titres depuis 2000) mais un oeil et une force de frappe qui impressionnent un peu plus chaque année. Dernièrement, Rebecca Rosen les a choisis pour publier son premier album (impeccable Morveuse), une impressionnante délégation d’indés américains (Charles Forsman, Noah Van Sciver, John Porcellino) leur a confié son destin francophone, et leurs deux dernières parutions en date font donc déjà partie des musts de l’année: Michel a été nominé pour le Fauve d’or d’Angoulême et Mortis Ghost est d’évidence l’un des plus excitants newcomers de la BD contemporaine. Bref, un joli mois pour l’Employé du Moi.

L'éditeur du mois

Des raconteurs d’histoires

 » L’Employé, c’est avec eux que j’ai commencé, je ne me voyais pas faire du Michel ailleurs« , explique Pierre Maurel, dont c’est effectivement déjà le sixième album à paraître chez L’Employé du Moi, depuis, déjà aussi, un premier Michel en 2006, complété par une nouvelle trilogie entamée en 2018 (respectivement Michel et les temps modernes, Michel, fils des âges farouches, et ce Michel et le grand schisme).  » Ce sont des potes, des gens qui ne sont pas carriéristes, qui n’ont pas de grand groupe derrière eux. ça collait bien avec l’esprit de Michel , un bon véhicule pour parler de l’époque et raconter des petites histoires avec une grande histoire en filigrane, même si je n’ai pas envie de coller toujours à l’actualité: les violences policières, quand je les ai dessinées, je pensais qu’elles auraient disparu un an plus tard, mais non! » Le Toulousain, longtemps basé à Bruxelles, s’est en tout cas imposé comme le meilleur chroniqueur de son époque, capturant avec humour et profondeur la colère des modestes et les marqueurs de notre temps: précarité au travail, mouvements sociaux, revendications LGBT, trottinettes géolocalisées… Un réalisme qui pourrait faire penser à de l’autofiction (la veine éditoriale « historique » de l’Employé du Moi, d’où son nom), si ce n’est que Michel est aussi rondouillard que Pierre Maurel est longiligne, et que ce qui l’intéresse surtout, « c’est l’histoire, la mise en scène et l’envie de raconter. Je partage juste ses colères, ses indignations et ses envies d’un autre modèle social. »

L'éditeur du mois

Mortis Ghost, lui, ne connaissait  » pas plus que ça » la joyeuse bande de l’Employé, mais a entamé la publication en numérique de Dr Cataclysm sur leur plateforme GRANDPAPIER. Lancée en 2007, cette plateforme de diffusion de bande dessinée en ligne est effectivement l’autre grande réussite de Max de Radiguès, Sacha Goerg, Stéphane Noël, Philippe Vanderheyden et Matthias Rozes, le team actuel de L’Employé. Sans être nécessairement un espace de pré-publication, GRANDPAPIER a déjà accueilli plus d’une centaine d’auteurs et de récits souvent expérimentaux, ouvrant des champs d’exploration graphiques et narratifs inédits, tous lisibles gratuitement, tels ce Dr Cataclysm novateur sous bien des aspects, mais là aussi, formidablement bien raconté.  » Je publiais entre autres sur cette plateforme, et j’avais imprimé moi-même le premier épisode, mais c’était vraiment trop de boulot de continuer à le faire, quand ils m’ont proposé d’éditer l’ensemble. » Soit une vraie prise de risque pour un « petit » éditeur: quatre volumes ont été publiés en moins de deux ans de ce récit un peu foldingue, en noir et blanc et complètement hors norme tant dans la narration que le graphisme de Mortis, lui-même quasiment inconnu pour qui ne se passionne pas pour les fanzines ou les créations numériques. Puisse cette première édition donner tort à toutes les grandes maisons qui lui ont refusé ses projets: à la croisée des chemins du manga, de l’animation, du jeu vidéo, et de quelques grandes références franco-belges comme Peyo ou Chaland, Mortis Ghost impose d’emblée un univers très personnel, mais, encore une fois, parfaitement raconté via des dialogues souvent hilarants et des mises en scène juste brillantes. Le jeune auteur, installé lui aussi à Bruxelles, expose jusqu’en mai ses planches et son formidable univers chez Rascasse, le salon de tatouage et d’expo de son amie Tarmasz à Uccle, autre représentante de cette nouvelle génération très prometteuse. On peut (sauf confinement ou lockdown…) y admirer et acquérir entre autres un très joli tirage montrant une coupe verticale du Plescops.  » Un tirage assuré par l’Employé« , qui sait décidément y faire.

L'éditeur du mois

Michel et le grand schisme, de Pierre Maurel, éditions L’Employé du Moi, 80 pages.

9

Dr Cataclysm – t. 4: Les Magiciens, de Mortis Ghost, éditions L’Employé du Moi, 128 pages.

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