Le vent l’emportera

Face aux Mongols, il faudra dégainer le sabre au bon moment.

Saluant le cinéma d’Akira Kurosawa, Ghost of Tsushima contre, sabre au poing, l’invasion mongole du Japon au XIIIe siècle. Un open world canadien beau et dense mais inabouti.

Changer de cap après 20 ans de routine requiert une certaine dose de courage. Rompu aux jeux de plateforme et aux mondes semi-ouverts pour enfants et ados rebelles ( Sly Raccoon et inFamous), Sucker Punch passe à l’âge adulte avec Ghost of Tsushima. Cette odyssée retraçant la résistance d’un samouraï face à l’invasion mongole de l’île de Tsushima au XIIIe siècle cristallise un double pari pour ce studio canadien. Car ses 200 développeurs se jettent dans une nouvelle licence tout en explorant une culture féodale nippone qui leur est étrangère. Avec tous les dangers que cela implique.

Composer un haïku en observant un pic rocheux et fleuri, plonger dans un bain chaud vaporeux, traverser un pont suspendu drapé de brume… En ces temps de staycation, le monde ouvert de Ghost of Tsushima aligne de splendides cartes postales de substitution. Évitant les clichés, Sucker Punch a en outre eu la chic idée de s’inspirer de l’oeuvre d’Akira Kurosawa, monstre sacré du cinéma japonais.

Pour accroître la force émotionnelle d’une scène, Kurosawa invoquait avec un talent fou des éléments naturels comme le feu ou la pluie. Sucker Punch lui rend hommage et fait souffler le vent sur toute son aventure. Se substituant à un pointeur GPS lors de l’exploration, à cheval et à pied, de l’île de Tsushima, la bise y tourbillonne avant tout pour des raisons esthétiques. Des fleurs de cerisiers se suspendent lors d’un duel sanglant tandis que des bourrasques font danser les ombres crépusculaires d’une forêt de bambou. Un peu forcée, cette météo a toutefois le mérite de sublimer des paysages compensant les animations des protagonistes. N’est pas The Last of Us Part II qui veut.

Révérence en noir et blanc

Pixel graphique sur le gâteau, Sucker Punch a reçu la bénédiction de la fondation Kurosawa pour développer un filtre noir et blanc saluant le réalisateur des Sept Samouraïs. L’équipe annonce avoir épluché, plan par plan, des centaines de scènes, pour notamment ajuster les textures et les effets de lumière de ce mode de jeu optionnel plaisant … mais pas indispensable (l’absence de couleur handicape le gameplay).

Suivi de près à Tokyo par SIE Japan Studio pour éviter toute bourde culturelle, Ghost of Tsushima cite volontiers Sanjuro comme sa plus grande inspiration. La tension précédant les duels de sabre du film Kurosawa de 1972 influence directement le gameplay. Croisées au hasard d’un déplacement entre deux missions, les grappes de soldats mongols peuvent ainsi être défiées ouvertement. Le tout pour aboutir à un face-à-face où il faudra observer le moindre sourcillement de l’adversaire avant de dégainer sa lame. Un coup. Une mort.

Cette mécanique originale ne bouleverse hélas pas l’approche très convenue du gameplay de Ghost of Tsushima. De la défense des occupants d’une maisonnée de plusieurs vagues d’assauts au suivi d’une cible sans se faire repérer, son monde ouvert se crible de dizaines de missions et d’activités annexes (trouver des renards, couper des bambous en mode rythm game…) offrant une amélioration des performances de Jin Sakai, le samouraï que l’on incarne. Pièces maîtresses de l’open world, les camps et forteresses mongols se prennent d’assaut exactement comme sur un Far Cry 3. Haut perché, sans se faire repérer, on observe d’abord les points faibles de ces dernières pour ensuite s’infiltrer dans la brèche et éliminer discrètement quelques gardes isolés. En cas de déclenchement d’alerte, le camp se met en branle. Place, alors, à la baston.

Dans la peau du samouraï Jin Sakai.
Dans la peau du samouraï Jin Sakai.

Katana blues

Coup de sabre bref, frappe longue et roulade d’esquive: la grammaire ludique des joutes se densifie et s’affine au fil du récit. L’ajout de quatre postures de base à adopter selon le type d’adversaire va également dans ce sens. Malgré ces efforts, Ghost of Tsushima cultive des archaïsmes embarrassants. La gestion obligatoirement manuelle de sa caméra brouille terriblement la lisibilité de l’action (surtout dans des espaces fermés) tandis que l’intelligence artificielle des adversaires claudique. Il n’est ainsi pas rare qu’une grappe de soldats tourne en rond, à quelques mètres de Jin Sakai, sans jamais l’attaquer. Voir l’un d’entre eux sagement « attendre son tour » lorsqu’on croise le fer avec un de ses équipiers prête également à sourire.

Ouvert à des phases de tir à distance (à l’arc à flèche) et à des passages d’infiltration corrects mais pas dingues, Ghost of Tsushima semble s’être épuisé à travailler son hommage au cinéma japonais. L’aventure mise en musique par Shigeru Umebayashi ( In the Mood for Love) et Ilan Eshkeri ( 47 Ronin) n’a pas peaufiné ses ressorts ludiques. Son scénario et ses protagonistes entendus ne relèvent pas plus les débats. Réunissant progressivement une équipe pour aller sauver son oncle, un seigneur prisonnier, Jin Sakai peine à susciter la sympathie. Ses meurtres dans le dos qui le mènent à transgresser son code d’honneur n’impactent pas l’évolution du gameplay. Dommage, car Sucker Punch tenait là une occasion en or pour rénover les chanbara, cousins japonais de nos films de cape et d’épée.

Comme figé -pour ne pas dire stressé- par le respect strict d’une culture qui lui est étrangère, Ghost of Tsushima n’a pas moins été loué par Toshihiro Nagoshi. Le créateur de la saga des Yakuza (Sega) regrettait que l’open world de Sucker Punch n’ait pas été créé au Japon. Gageons qu’il réveillera l’archipel. Car depuis la fin des années 90, seuls Tenchu, Way of the Samourai, Onimusha, Sekiro (des créateurs de Dark Souls) et Nioh (de ceux de Ninja Gaiden) ont croisé le fer avec brio. Mais le vent, comme partout, peut tourner.

Ghost of Tsushima, édité par Sony IE et développé par Sucker Punch, âge: 18+, disponible sur PlayStation 4.

7

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