Le Ton Mité

McLoud Zicmuse: "Mac le nuage, pas toujours facile à porter quand tu es enfant." © © Philippe Cornet

Son patronyme est aussi improbable que son album, porte-flingue charmeur tout en free style. Prétexte à fouiller l’ADN d’un Américain imaginatif de Bruxelles avant son passage aux Nuits Bota.

Pour entrer dans le trois pièces en enfilade schaerbeekois de Le Ton Mité, on est prié d’enlever ses chaussures. La cuisine nous accueille en chaussettes et un café nous y est proposé. Faut d’abord, littéralement, moudre le grain: cela se fait avec l’un de ces vieux engins mécaniques sortis de l’Expo 58, mais pas avant que Le Ton n’ait revêtu un tablier orange folklo. Rencontrer ce quadra natif de Little Rock, Arkansas, c’est décrypter son album qui ne ment pas sur son titre (Passé composé futur conditionnel). De fait, il brouille agréablement la ligne du temps et des genres via pas moins de 50 plages où l’on bronze sous un soleil new wave (Micro-capitalism), soul (Class War), jazz (Did Pharoah Saunders Ever Come Back?), pop (Space Needle) et le plus souvent, inclassable (Donne-moi une heure dans un lac). Ce disque de chercheur trouve ainsi une conception totalement libertaire de la musique, avec fantaisie et sens récurrent de la quiétude, celle-ci rappelant même les incidences seventies de Brian Eno. Comme dans les 55 secondes de Petit bis ou les 56 de L’Esprit viking, l’homéopathie s’avère efficace et riche d’un mix zazou digne d’un Zappa minimaliste et bilingue. Le Ton Mité est un pseudo qui tient d’ailleurs du même jeu de piste, explicité par l’intéressé: « Le groupe a commencé avec des expériences noise, des micro-cassettes, des micro-samplings et, comme francophile, j’ai trouvé que dans les tentatives de bruitages, il y avait une tonalité mangée par les mites (sic), apte à expliquer ce que l’on faisait. Même si entre-temps le son a changé, la référence est toujours valide puisqu’elle parle de quelque chose de fort dans sa méthode de production, la mite… »

Les amateurs de Scrabble s’intéresseront aussi au vrai nom de l’artiste, McCloud Zicmuse, cadeau généalogique: « McCloud était le nom de famille de mon grand-père, Mac le nuage, pas toujours facile à porter quand tu es enfant (sourire). Je suis né à Little Rock -fief des Clinton- en 1973 parce que mon père, originaire de l’Oregon, y travaillait alors: une classe moyenne pauvre, à moitié religieuse qui, au fur et à mesure des boulots paternels, déménageait. Au Texas, au Nevada et en Californie du Nord où mon père, séparé de ma mère, a fini par s’installer: avant mes dix ans, j’ai pas mal traversé le pays. » Le Ton se souvient bien des séquoias californiens, grandeur naturelle qui donne des leçons d’humilité à l’homme. Et puis de cette sensation du déménagement perpétuel de « mettre l’essentiel de ta vie dans un U-Haul (1), de ne trimballer que l’essentiel, la valeur utile. Ce n’est sans doute pas complètement étranger au fait que mes chansons sont souvent courtes tout en essayant de dire quelque chose. »

Marionnette Pogge

Après deux disques du Ton parus plutôt confidentiellement en 2006 et 2012 et celui en 2011 du trio foldingue bruxellois Hoquets, voilà donc ce Passé composé futur conditionnel recueilli par Crammed Discs, antre habitué aux musiques d’explorateur. Qualité que McCloud intègre au premier degré dans son travail qui tient autant de la production musicale que de l’anthropologie. « Cinquante titres, c’est un hommage aux 50 États de mon pays, une sorte de carte imaginaire par ailleurs dessinée par ma femme, Anne Brugni, dans l’album. L’Amérique que j’ai reparcourue en 2014 est un monstre, c’est sûr, et le disque, une façon de m’en libérer, de confronter la réalité de ce territoire vu à distance depuis mon arrivée en Europe il y a quelques années. Même si je ne peux pas me libérer complètement des États-Unis: il suffit de sortir dans une rue de Schaerbeek pour voir que l’Amérique est toujours là, dans le rap ou le Coca-Cola. »

Si le disque reste américain par son groove évident dans les moments soul-jazz-pop, il porte aussi une hybridité européenne. Et l’obligation d’être caméléon lorsque la vie te mène dans des villes et continents étanches l’un à l’autre. Avant son installation à long terme à Bruxelles -en 2008- McCloud est déjà routard, plus Lonely Planet que Relais & Châteaux. Tout en faisant « quinze mille boulots de merde, comme livreur de fleurs ou ouvrier en manufacture de costumes », l’ado McCloud a été bluffé par la génération Fugazi, Hüsker Dü, Minutemen: « J’ai aimé le punk parce qu’il voulait changer le monde, prônant le pouvoir de l’individu sur le système. C’est comme cela que j’ai commencé la basse en autodidacte et me suis retrouvé dans ce réseau de freaks, de geeks et de punks, bien avant Internet. Des groupes passaient par chez moi et je rencontrais mes héros comme Mike Watt des Minutemen. »

Celui qui finit par un panaché d’études -architecture, russe, typographie- se retrouve un moment à Olympia, dans l’État de Washington, à fréquenter la scène post-Nirvana, puis voyage une première fois en Europe via une tournée française et italienne en 2005. « C’était intéressant de jouer devant un public vraiment touché par ma musique. » Prélude à un retour continental l’année suivante qui le conduit à Bruxelles: « C’était le 31 octobre 2006 et je suis tombé amoureux de la ville, malgré son côté chaotique. » Après des détours à Bordeaux et en banlieue parisienne, depuis neuf ans, l’architecture bancale de la capitale de l’Europe lui sert donc de décor permanent: « Aujourd’hui, je suis immigrant et non pas expatrié. L’immigrant va vers une nouvelle vie, l’expat passe d’un pays à l’autre, sans vouloir de racines. Si je vis sur place, c’est aussi pour être inspiré par ce qui s’y passe, notamment le folklore. » D’où le tablier orange que McCloud porte pour moudre le café et pour défiler au carnaval de son quartier et défendre la marionnette schaerbeekoise Pogge. Orange is the new black

(1) nom d’une société de déménagement américaine dont les véhicules -de tailles variables- sont visibles sur toutes les routes du pays.

le 18/05 aux Nuits Botanique et le 07/06 au Jacques Franck à Bruxelles.

Rencontre Philippe Cornet

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