Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

DANS LA TÊTE DE WALLACE – LE DERNIER LIVRE DE L’AUTEUR AMÉRICAIN EST RESTÉ INACHEVÉ. IL AURAIT DÛ ÊTRE UN GRAND ROMAN SUR LA TRISTESSE ET L’ENNUI.

DE DAVID FOSTER WALLACE, ÉDITIONS AU DIABLE VAUVERT, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR CHARLES RECOURSÉ, 650 PAGES.

L’écriture romanesque n’est pas une expérience linéaire. Plus que toute autre, celle de David Foster Wallace, romancier rare et surdoué, faisait d’une narration et de récits labyrinthiques sa signature: digressions surabondantes, notes de bas de page interminables et multiples, utilisation d’abréviations, d’argots, de mots inventés, mélange d’histoires apparemment sans rapport… Une prose névrotique, presque hallucinatoire, mais jusqu’ici contrôlée, dominée, qu’il ne laissait publier qu’après l’avoir mûrie, réfléchie, travaillée… Jusqu’à la folie. David Foster Wallace s’est pendu en 2008, alors qu’il travaillait depuis des années sur ce qui d’évidence devait être son grand £uvre, et dont il s’apprêtait, enfin, à montrer quelques pages à son éditeur.

C’est sa veuve qui retrouvera ces pages-là, environ 250, bien rangées et corrigées. Mais aussi, éparpillées dans ses carnets à spirale et ses disques durs, des centaines d’autres notes, encore en jachère. Des bouts de chapitres, des instructions, des idées, des histoires a priori sans rapport, et sans place déterminée. Une entreprise qui d’évidence avait tourné à l’obsession, fatale à ce génie dépressif. Il aura fallu plus d’un an de travail acharné à son ami et éditeur Michael Pitsch pour tenter d’y mettre de l’ordre, et offrir au monde les dernières phrases et envolées de Foster Wallace.

Voyage au bout de l’ennui

L’auteur du Roi Pâle, mort à 46 ans, n’avait jusqu’ici écrit que des recueils de nouvelles, de nombreux essais et deux romans, dont le premier, Infinite Jest, n’a pas encore été traduit en français, entre autres à cause de sa complexité. Ses 1014 pages sont pourtant considérées aux USA comme l’un des chefs-d’£uvre de la littérature moderne: Wallace y est comparé à Joyce, créant de véritables mondes en restant pour l’essentiel à l’intérieur… d’un club de tennis et d’un centre de désintoxication. Pour Le Roi Pâle, le défi romanesque est plus immense encore: traduire sur 650 pages écrites petit et complexe l’insondable tristesse du quotidien d’un bureau de perceptions d’impôts perdu dans le Midwest… Faire de l’ennui le centre de son récit. Entrer dans la tête de ses protagonistes fonctionnaires, et réussir à souligner l’hallucinante énergie, presque héroïque, qu’ils doivent déployer pour simplement survivre à la banalité de leur vie.

Les intentions, magistrales, sont atteintes par moments. La narration de Wallace, par ailleurs héros de son propre roman -il a bossé deux ans dans un bureau de perceptions et avait repris des cours de comptabilité pour l’écriture du Roi Pâle-, est parfois, littéralement, suffocante. Mais l’ensemble ne peut s’empêcher de ressembler à l’autopsie d’une £uvre inachevée, qui devait d’évidence être travaillée et « simplifiée ». Sans doute faut-il relire La fonction du Balai, seul autre roman achevé et traduit de Wallace, pour apprécier pleinement ce Roi Pâle et ce qu’il aurait pu être. l

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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