Il y a quinze ans quasi jour pour jour, Kurt Cobain décide de mettre une fin brutale à son flamboyant parcours d’homme blessé. Que serait devenu le Nirvana-Man s’il ne s’était pas suicidé? Focus a sa petite idée. Et en profite pour ressusciter dans la foulée trois autres icônes indéboulonnables: Elvis Presley, Bob Marley et Ian Curtis…

Kurt Cobain

20 février 1967-5 avril 1994.

Smells Like Teen Spirit , sorti en 1991, change la vie de son auteur, Kurt Cobain, et de l’histoire du rock. Sous le « grunge » de Nirvana, gravite le sens brillant du songwriting de Cobain, et une mélancolie que le succès, l’héroïne et peut-être la personnalité hystérique de sa femme Courtney Love, finissent par transformer en désespoir. Il se tire une balle dans la tête, seul dans sa maison de Seattle, il y a quinze ans.

Ce 4 avril 1994, Cobain a rendez-vous avec son dealer dans le centre de Seattle pour acheter de l’héroïne. Mais la came n’est pas là et Kurt repart, à sec, vers sa maison de Lake Washington, quartier vert des millionnaires de la ville. Quatre jours plus tôt, il s’est échappé d’un rehab de Los Angeles où il avait accepté de s’enrôler sous la pression de Courtney Love. Celle-ci a engagé un détective privé, Tom Grant, chargé de retrouver le mari en fuite. Grant est trouvé mort le 8 avril – une balle dans la tête – dans le bois qui longe la large propriété des Cobain. Kurt est arrêté par la police le jour-même et clame d’emblée sa non-implication dans ce crime apparent. L’affaire sera finalement classée et le non-lieu prononcé en 1997. Cobain a déjà divorcé de Love et fait splitter Nirvana, il a aussi vendu la somptueuse maison en bois de Seattle et est retourné dans sa ville natale, Aberdeen, connue pour sa réputation de « trou à rats du Pacifique Nord-Ouest ». Il y habite seul, dans une ancienne usine de découpe de saumons isolée sur la rivière. L’endroit est sèchement gardé. La seule visiteuse, irrégulière, est Frances Bean, sa fille, née en 1992. Exceptionnellement, début 2008, une équipe de KCTS – filiale de Seattle de PBS, la chaîne publique – est autorisée à filmer à l’intérieur du domaine pour un Spécial Lead Belly à l’occasion du 120e anniversaire de la naissance du bluesman révéré par Kurt et d’ailleurs repris sur le MTV Unplugged In New York de Nirvana. Dans le document de KCTS, on voit Kurt, inchangé, les cheveux courts légèrement brunis, en chemise à carreaux repassée, en duo avec Frances sur Where Did You Sleep Last Night? Quelques semaines après la diffusion du document, dans une interview exclusive du magazine Living Blues, Cobain annonce qu’il travaille à son premier album solo, uniquement composé de reprises acoustiques de blues américain. Tous les bénéfices du disque iront à la prévention du suicide. D’après Dave Grohl, Cobain n’a pas répondu à sa demande d’être le spécial guest des deux concerts de Foo Fighters donnés au Stade de Wembley de Londres en juin 2008.

Ian Curtis

15 juillet 1956-18 mai 1980

En deux albums de Joy Division, dont un posthume, ce jeune homme entre dans la légende rock. Soumis à la pression des concerts où il se laisse aller à une transe maniaque, et d’un succès grandissant, son épilepsie – aggravée par l’alcool, le stress et les drogues – devient chronique et son mariage se fissure définitivement. Curtis se pend dans sa cuisine le 18 mai 1980.

Ce samedi 17 mai 1980, Ian Curtis écoute une dernière fois The Idiot d’Iggy Pop dans sa maison vide de Macclesfield et prend la décision de quitter sa femme et Joy Division le soir même: trop de pression, de déchirements. Il passe à Londres rejoindre sa maîtresse belge, Annick Honoré, la convainc de partir à Bruxelles. Mais la ville est trop provinciale pour lui, il la quitte après quelques semaines, et s’installe à Berlin, sur les traces d’Iggy, son héros. Il s’est juré de quitter la scène mais la musique reste son aimant. Avec Blixa Bargeld, il forme une unité de recherches sonores qui développe un programme d’études sur la connexion entre son, culture bio de fruits et légumes et forme physique, Les cultivateurs numériques. Ignore les demandes des médias qui le pressent d’accepter interviews et sessions photo, sort des disques à tirages limités uniquement par correspondance. Il lance une ligne de vêtements 100 % environmentally friendly, refuse de rejoindre New Order, fait un fils à une poétesse allemande et s’installe dans un immeuble proche du Mur de la Potsdamer Platz. Après 28 ans de silence médiatique, il accepte, en 2008, de recevoir une équipe de la BBC dans sa résidence de Munich pour parler exclusivement de son portail Curtisdoor, numéro deux du marché international. Légèrement épaissi, il semble apaisé et souriant.

Bob Marley

6 février 1945-11 mai 1981

Fils d’une jamaïcaine et d’un capitaine, blanc, de l’armée britannique – mort quand il a dix ans – Robert Nesta Marley va mettre une décennie avant que son reggae devenu révolutionnaire s’impose en Grande-Bretagne d’abord, en 1973, puis dans le monde entier. Entre son premier hit international, No Woman, No Cry , en 1975, jusqu’à sa mort d’un cancer non soigné en 1981, il devient le plus important musicien jamais issu du tiers monde. Il l’est toujours.

Juillet 1977, Paris. Le match de foot improvisé avec des journalistes et l’équipe de Bob, tourne court. Bob sort du terrain, une douleur insupportable vrille son gros orteil droit. Il décide de consulter et apprend qu’il souffre d’une forme de mélanome malin… Seule solution: une amputation du doigt de pied, qu’il accepte. Mais pas plus cet accident physique que le reste ne freine son extraordinaire ascension. En novembre 1980, Marley délaisse sa croyance rastafari et se fait baptiser à Kingston par l’Eglise chrétienne orthodoxe d’Ethiopie. Le voyage qu’il fait alors en Afrique de l’Est, ravagée par la famine, est un choc. Il en revient profondément transformé, sa foi brutalement dissoute – Dieu est responsable de tout cela – et s’installe à Miami. Là, extraordinairement enrichi par son triomphal Uprising Tour, la vente massive de ses disques, il signe un virage à 180° de son affiliation musicale et religieuse. Il rase ses dreadlocks et aborde une mini afro soignée à la Lionel Ritchie, complétant l’allure néomaquereau cool par un costard aux revers imposants et des chaussures à talons qui compensent une taille de toute façon modeste. Dans une superbe maison Art déco du front de mer de Miami, il ouvre « United Colors Of Bob « , à la fois agence de casting et de pub. C’est lui qui compose les fameux jingles radio 1981 de Mc Donald’s, Chrysler, Baskin-Robbins, Wal-Mart et Kentucky Fried Chicken. Tout le monde se souvient de sa nouvelle version funky d’ I Shot The Sheriff pour le Nikon F3 mettant en scène une bande de babes peu vêtues sur une plage floridienne. C’est dans son agence qu’il fait connaissance de l’ex-Miss Jamaïque 1979, Debbie Campbell. Ensemble, ils participent à Bob’s next kid, émission de télé-réalité de MTV, où l’on suit la grossesse de la nouvelle madame Marley au jour le jour, programme qu’il coproduit également. Avant de lancer sa propre chaîne Marley TV devenue numéro 1 de la télévente internationale: on y trouve de multiples produits tels que chaussures, tee-shirts, cendriers, costumes à revers, bagues et montres Marley. Sans oublier le club Bob, fameux modèle golf disponible pour seulement 99,99 dollars.

Elvis Presley

8 janvier 1935-16 août 1977

Arrivé en compagnie d’un jumeau mort-né, Elvis Presley est marqué par Dieu, sa mère et la musique. Pas forcément dans l’ordre. Il devient la plus grande icône de toute l’histoire du rock, dès son premier numéro 1 US, en janvier 1956. Et meurt à l’âge de 42 ans, aux toilettes, victime d’une polypharmacite aiguë . Quatorze médicaments sont retrouvés dans son sang.

Vingt-six juin 1977, Elvis termine sa performance au Market Square Arena d’Indianapolis. C’est son concert le plus digne depuis longtemps, et il le sait. En chantant An American Trilogy, son tube partiellement gospel, il a une vision: lui gamin, filant de l’église blanche pour aller écouter les negro-spirituals. Lui, jeune, beau et mince. Il décide de tout plaquer. Rentré à Graceland, Elvis débranche les téléphones et congédie tout le monde à commencer par sa Maffia de Memphis. Au Colonel (manager depuis vingt-deux ans), il envoie un télégramme garni de ces seuls mots:  » It’s over ». Annule tous les engagements et tournages prévus. Seul Vernon, le père, reste préposé aux cuisines et à un régime sans graisse. Du barbier qui le teint régulièrement, le king exige le secret et une coupe militaire nature, c’est-à-dire grisonnante. Sept jours enfermé dans la chambre du premier étage, le contenu de la monumentale pharmacie noyé dans la baignoire: détox à la dure. Au bout de huit jours de rehab et de potage aux légumes, il téléphone à Priscilla pour lui annoncer le divorce. Il a maigri, moustache et barbe le rendent méconnaissable. Il embrasse son père et s’échappe de Graceland dans la plus discrète voiture disponible. Dix-huit mois ont passé, Graceland est métamorphosé, peinte en orange intégralement. Elvis a remarqué que les foulards de soie de cette couleur-là en particulier sont ceux que le public préfère. L’effet est saisissant, les curieux se pressent, les pèlerins aussi. Sur NBC, pour Noël, un Elvis 1978 Special officialise le nouveau culte fondé par le révérend Presley, Graceland Of The Lord. Sur le plateau, Elvis, en toge orange vif, cheveux gris longs et barbe, expose son programme: facilités de contraception pour les mineures, désarmement massif de l’Amérique, contrôle strict des drogues pharmaceutiques, financement large de l’éducation et de la santé, interdiction des fast foods dans un rayon de 500 mètres des écoles. L’intervieweur, décontenancé, lui fait remarquer, que cela ressemble davantage à un plan politique que religieux: Elvis sourit et sort de l’ombre un double vinyle, orange lui aussi, fait face à la caméra et annonce:  » Disponible pour à peine 40 dollars dans toutes les échoppes de la chaîne Graceland Of The Lord ou en le commandant directement au 0800-G.R.A.C.E.L.A.N. D ». Après l’interruption pub, Elvis annonce une tournée en Europe. Sa toute première: elle devrait passer par Notre-Dame de Paris et la Basilique de Koekelberg. l

Texte Philippe Cornet, illustrations Jampur Fraize

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