DIX ANS APRÈS SA MORT, MAURICE PIALAT EST L’OBJET D’UNE VASTE EXPOSITION À LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE, TANDIS QUE SIX DE SES FILMS SORTENT EN BLU-RAY. RETOUR SUR UN CINÉASTE ESSENTIEL.

Disparu il y a tout juste dix ans, Maurice Pialat aura laissé une empreinte indélébile sur le cinéma. Il y a les films, d’abord, dix à peine mais lesquels, mus, de L’enfance nue en 1969 au Garçu en 1995, par une même intransigeance dans le désir de capter l’instant vrai. Et puis l’héritage, voulant que de Joachim Lafosse à Bertrand Bonello, on ne compte plus le nombre de cinéastes qu’il n’ait influencés. Vient enfin, histoire de pimenter l’affaire, la personnalité complexe du personnage, son caractère tempétueux et ses coups d’éclat, comme celui, fameux, de 1987 lorsque, recevant la Palme d’or pour Sous le soleil de Satan, le réalisateur adressa à ceux qui le sifflaient copieusement le définitif « Si vous ne m’aimez pas beaucoup, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. » De quoi imposer, le poing levé, une image forte tout en rappelant, si besoin en était, combien Pialat resta un incompris. Et cela, même si plusieurs de ses films furent, à dater de Nous ne vieillirons pas ensemble, de francs succès populaires -un paradoxe parmi d’autres.

Un cinéaste contrarié

L’exposition que lui consacre la Cinémathèque française vient donc à point nommé, qui honore un artiste essentiel, tout en le présentant sous un jour parfois méconnu, qui ajoute au parcours du cinéaste le retour sur ce qui fut sa première vocation, la peinture. C’est d’ailleurs un autoportrait, non daté, qui accueille le visiteur, avant qu’une citation de Pialat n’accroche… son regard: « Tout est dans le regard. On disait de Monet: « ce n’est qu’un oeil, mais quel oeil! ». Je ne suis pas Monet, mais je pense que j’ai un oeil. Un film, c’est toujours mon regard. » Cet oeil, le futur réalisateur l’exerce de 1942 à 1946, alors qu’il est étudiant aux Arts décoratifs. La quarantaine d’oeuvres exposées (des marines, paysages et autres portraits) montrent un peintre au style indécis, encore qu’affleurent certaines thématiques à suivre, et notamment l’enfance, objet de plusieurs portraits saisissants comme celui de L’enfant ivre. Pialat se détournera de la peinture pour des raisons essentiellement matérielles, mais non sans regrets. Commissaire de l’exposition, Serge Toubiana y voit la raison majeure de l’autodépréciation que pratiquera volontiers le réalisateur: « De cette expérience fondatrice, Pialat gardera le sentiment très fort qu’une oeuvre, quelle qu’elle soit, n’est jamais finie, écrit-il dans le catalogue. Le peintre est toujours libre d’apposer une touche à son tableau. Pourquoi pas le cinéaste? Cette insatisfaction, qui le travaillera durant sa carrière de cinéaste, provient de cette impossibilité intrinsèque au cinéma de retoucher une oeuvre. »

La suite de l’exposition est plus attendue mais pas moins éclairante, qui s’attache à Maurice Pialat cinéaste après un bref passage par les années galère, celles qui le voient exercer sans passion des métiers divers, se consacrer à des projets bientôt avortés, s’essayer au théâtre et réaliser quelques courts métrages. Au passage, il a raté le train de la Nouvelle Vague, à qui il vouera une rancoeur tenace, ne se lançant dans son premier long métrage, L’enfance nue, qu’à l’âge de 43 ans, en 1968 (lequel, comble de l’ironie comptera François Truffaut parmi ses coproducteurs). Un film remarquable et le premier d’une longue série de tournages mouvementés, voire même houleux. Antoine de Baecque rapporte, dans son Dictionnaire Pialat, que ce dernier confiait: « Dès le début, j’ai eu des problèmes. Comme si j’étais devant un mur, comme s’il y avait un rejet. C’est pourtant quand les choses vont mal que je suis le mieux. Je réussis au moins ça. De là à dire qu’il faut que ça aille mal pour que je me retrouve et que je fais exprès de foutre la merde… »

La méthode Pialat, l’exposition en rend largement compte, à l’aide de documents d’archives divers. Elle permet aussi de dégager diverses lignes de force de sa filmographie. Comme lorsqu’elle regroupe sous le label « Le roman familial » quatre films empruntant ouvertement à des épisodes de la vie du réalisateur ou de celle de ses proches, à savoir Nous ne vieillirons pas ensemble, Loulou, La gueule ouverte et A nos amours -de quoi poser un cinéma porté vers l’autofiction. Ou encore, en revenant à la faveur de Van Gogh, un chef-d’oeuvre absolu, sur les deux thèmes essentiels qui irriguent toute l’oeuvre de Pialat, la solitude et l’abandon. Un film dont l’on peut lire les mots qu’il inspira à Jean-Luc Godard: « Heureusement que vous êtes entré plus tard que les autres dans l’ordre puisque vous entrez plus tôt dans le beau, le calme et le voluptueux. » Tout est dit…

MAURICE PIALAT PEINTRE & CINÉASTE, JUSQU’AU 7 JUILLET À LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE, RUE DE BERCY, PARIS.

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content