Films phares de leur époque, Romeo + Juliet et Moulin Rouge sortent en Blu-ray. L’occasion, pour le réalisateur australienBaz Luhrmann, de reconsidérer son ouvre -visionnaire.

Rencontrer Baz Luhrmann est une expérience peu banale. De même que souffle sur son £uvre un vent soutenu de fantaisie, le réalisateur australien a l’enthousiasme hyperbolique, le genre à déverser sa pensée, agile, à flux continu, non sans joindre fréquemment le geste à la parole. Ainsi, par exemple, lorsque, évoquant la fusillade ouvrant son Romeo + Juliet, il se lève soudain de son siège pour mimer la scène, qu’il avait, explique-t-il, chorégraphiée comme un combat à l’épée.

Si on le retrouve aujourd’hui dans un hôtel branché de Manhattan, c’est parce que 2 de ses films, l’adaptation de Shakespeare susnommée et Moulin Rouge, sortent dans des versions remasterisées en Blu-ray. Une actualité dans laquelle il s’est investi corps et âme -mais on imagine, mal, à vrai dire, qu’il en aille jamais autrement dans son chef-, supervisant le transfert des films, conduit notamment avec Jan Yarbrough, le responsable de la restauration des couleurs de North by Northwest et de The Godfather, parmi d’autres, et s’occupant personnellement des compléments. Derrière ce travail, une philosophie, où la prudence le dispute au discernement: « J’ai vu trop de films qui, après être passés à la moulinette de la technologie pour être adaptés au format Blu-ray, me faisaient penser à ces amis ayant subi tellement d’opérations de chirurgie qu’on ne les reconnaît plus », observe le réalisateur non sans à-propos. Le résultat s’avère totalement concluant ( lire par ailleurs), et fait ressortir ses films dans tout leur éclat, source, pour Luhrmann, d’une satisfaction que l’on ne saurait qualifier autrement que de légitime.

La marque Luhrmann

Ce qui frappe aussi à la redécouverte, tant de Romeo + Juliet que de Moulin Rouge, c’est que ces films, pourtant tellement ancrés dans leur époque, n’ont pas pris une ride. Qu’il s’agisse de transposer Shakespeare ou de remodeler la comédie musicale, l’esthétique de Luhrmann résiste en effet aux ravages du temps et n’a, pour tout dire, rien perdu de sa puissance visionnaire et iconoclaste. A se demander, plutôt, comment un auteur à l’univers aussi singulier a pu imposer sa griffe au c£ur même d’un studio -une question qui a le don d’ouvrir la boîte à souvenirs. « Lorsque j’ai tournéStrictly Ballroom , mon premier long métrage, il s’est fait à ce point laminer en Australie que je pensais n’être plus jamais en mesure de faire un film, se souvient-il . Mais Pierre Rissient l’avait vu pour le Festival de Cannes, et il nous a proposé de le projeter à Un Certain Regard, en séance de minuit, c’était à prendre ou à laisser. Nous y sommes allés, et cette nuit-là, dans l’effervescence qui a suivi la séance, un garde de sécurité français m’a dit: « Monsieur, à compter de ce moment, votre vie ne sera plus jamais la même.  » Et il avait raison.  »

Le film ne déchaîne pas uniquement l’enthousiasme pour ses qualités artistiques, en effet, il déclenche aussi une véritable frénésie côté acheteurs, plaçant le jeune réalisateur dans une position confortable. La Fox emportera finalement le morceau, parce que, raconte-t-il, « le studio était prêt à me laisser travailler à ma main, à mon rythme et depuis l’Australie, suivant un processus qui m’est propre.  » Cette autonomie relative -il concède avoir dû batailler pour imposer le bien-fondé de sa vision de Romeo + Juliet-, elle permet à Luhrmann de développer, avec une équipe de fidèles, ce qui ressemble à une marque de fabrique, reconnaissable entre toutes, où le grand spectacle se décline entre kitsch assumé, esthétique camp et musique populaire façon MTV, pour surfer parfois aux limites d’un goût discutable non sans briller toujours de mille feux. Un modèle à l’£uvre dans ses 3 premiers films, en tout cas, réunis dans sa trilogie du Rideau Rouge, revisitant des formes classiques de spectacle dans un environnement contemporain, et à la lumière d’un imaginaire débridé. Ainsi, quand, 4 ans après Strictly Ballroom, sort sa version rock’n’roll de Romeo + Juliet , dont il déploie la trame amoureuse dans le monde d’aujourd’hui, faisant des Montague et des Capulet des gangs rivaux -avec un succès public considérable, même si certains puristes renâcleront. « Mais, observe Luhrmann , Shakespeare ne faisait rien d’autre avec les moyens de son temps. C’était un artiste populaire.  »

Cinq ans plus tard, Moulin Rouge enfonce le clou d’une perspective toute personnelle, remettant le musical flamboyant au goût du jour. « Cela a l’air évident aujourd’hui, mais c’était loin d’être le cas au moment où j’ai tourné ces films, relève-t-il encore. On considérait le musical comme mort, et voilà que débarque quelqu’un qui utilise de la musique contemporaine comme support de la narration. Cela avait l’air d’une blague. Qui aurait pu imaginer, alors, qu’il y aurait un jour une série comme Glee ? Quand je revois ces films aujourd’hui, je suis surtout frappé par la folie de l’ambition, mais aussi par le fait que nous ne réalisions pas vraiment dans quoi nous mettions les pieds. Il y a là quelque chose de naïf, dans le bon sens du terme, du c£ur et l’élan de la jeunesse -tenter de reproduire ces films serait vain. »

Le retour de Gatsby?

Non, du reste, que Baz Luhrmann soit du genre à se répéter. A défaut de totalement convaincre, Australia l’a conduit sur le terrain de la fresque épique, explorant les grands espaces d’Oz et l’immensité des sentiments. Et si le temps s’écoulant entre chacun de ses films tend à s’accroître, encore qu’il compte bien y remédier, il ne reste pas inactif, loin s’en faut, ayant notamment mis en scène La Bohème, à Broadway, ou s’étant investi dans la campagne électorale du Premier ministre australien Paul Keating. Sans même parler de projets avortés, comme ce Alexander the Great qu’il aurait dû tourner dans la foulée de Moulin Rouge, pour Dino De Laurentiis, et avec Leonardo DiCaprio dans le rôle titre, avant de se voir couper l’herbe sous le pied par le projet concurrent d’Oliver Stone. « Je n’avais pas envie de me lancer dans une compétition stérile, et les conditions n’étaient plus réunies pour le faire correctement », souligne-t-il, sans exclure d’y revenir un jour.

Son proche avenir devrait toutefois avoir le profil du Great Gatsby, d’après Fitzgerald, à moins qu’il ne s’agisse d’un musical new-yorkais, soit les 2 projets entre lesquels son c£ur balance pour l’heure. Le réalisateur de Moulin Rouge retournant au musical? « Maintenant que le lifting le plus important a été fait, on peut expérimenter. C’est comme avec la 3D: James Cameron ayant fait le gros du travail, on va pouvoir s’aventurer dans une direction dramatique. La 3D a un potentiel que l’on ne peut même pas imaginer. Seul Hitchcock, sans doute, a utilisé efficacement la 3D dans un drame, Dial M for Murder. Vu dans les conditions ad hoc, c’est une expérience stupéfiante. Faire un film en 3D m’intéresserait, je suis absolument fasciné par l’utilisation de cette technologie… «  Du magicien d’Oz on sait pouvoir s’attendre à tout, en effet…

Entretien Jean-François Pluijgers, à New York

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