Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

B-BOY EN SÉRIE NOIRE. LE FRANÇAIS KARIM MADANI IMPOSE SON STYLE ET SA GÉNÉRATION AVEC LE JOUR DU FLÉAU, UN DIRTY HARRY TRASH ET SURTOUT TRÈS GANGSTA RAP.

DE KARIM MADANI, ÉDITIONS SÉRIE NOIRE GALLIMARD, 300 PAGES.

Arkestra,  » la ville qui ne dort jamais », pas de demi-mesures. Dans cette mégapole imaginaire, à mi-chemin entre Paris, New York et East L.A., on n’est pas là pour rigoler. Paco, anti-héros de ce Fléau et ex-flic des stups désormais collé à la brigade des mineurs, se drogue méthodiquement à la codéine. En proie aux hallucinations, il fracasse littéralement la tête des pédophiles qu’il ne peut pas arrêter. Il a du mal à se remettre de l’assassinat de son indic et maîtresse, torturée et shootée à mort par un gang de Colombiens protégés par les hautes sphères. Or sa vie de flic va le mettre en chasse, avec sa collègue lesbienne, rasta et booty, d’une mineure disparue. Son jour du fléau va en réalité en durer 9, au cours desquels il va croiser un photographe kidnappeur, un chef -castré- de réseau pédophile, de gros flics pourris accros aux bonbons, des politiciens qui ne jouissent qu’en tuant, et à peu près tout ce que la terre peut produire comme lie.

Nouvelles références

Karim Madani n’a pas 40 ans. Né et élevé à Paris, il s’est d’abord longuement fait la plume dans des magazines sur les « cultures urbaines », et le hip-hop en particulier. Ses premiers romans revendiquaient cet héritage ( Hip-hop connexion en 2007), son dernier, premier chez Gallimard, tente clairement d’élargir le propos et les références, même si le matériau de base reste inchangé: culture des gangs, ultraviolence, cynisme, pessimisme, drogue, thèses du complot, justice douteuse, omnipotence du bling bling, système pourri… tout y est. Mais avec style, ou « staïle », comme vous voudrez. Madani sait écrire, s’offre moult envolées, et apporte finalement au genre -qui en manquait peut-être, surtout en France- la langue de sa génération. Des références un peu lourdes, trop nombreuses et parfois contestables, mais neuves. Un peu à la manière d’un Abdel Raouf Dafri, qui a su fouetter de sang neuf quelques scénarios du cinéma français ( Mesrine: L’Ennemi Public N°1, Un prophète).

Reste ce choix d’une cité imaginaire, sans doute appelée à revenir dans des épisodes futurs. On pense évidemment à l' »Isola » d’Ed McBain, quadrillée en tous sens dans ses chroniques du 87e district, on pense aussi à la cité sans nom du Seven de Fincher, jamais nommée et tout le temps sous la pluie… Au mieux, on peut y voir avec plaisir une pure création littéraire, qui offre à son auteur toutes les aires de jeu. Au pire, on risque d’y renifler un peu de paresse, littéraire elle aussi, dans le chef d’un romancier s’affranchissant par là de tout besoin de repères ou de documentation. La Série noire, un brin rajeunie, accueille en tout cas ici une nouvelle voix appelée, à défaut d’être follement originale, à s’installer aux côtés des Chainas, Marpeau, DOA, Ledun & Co. Et s’offre la possibilité de toucher un nouveau public, qui possède probablement plus de DVD et de MP3 téléchargés que de polars à son compteur. Il était peut-être temps que la rencontre se fasse.

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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