PREMIER LONG MÉTRAGE DE LA ROMANCIÈRE AUSTRALIENNE JULIA LEIGH, SLEEPING BEAUTY EST UNE FABLE ÉTRANGE QUI VOIT UNE JEUNE FEMME OFFICIER EN QUALITÉ DE BEAUTÉ ENDORMIE, OBJET DU DÉSIR ALANGUI DE VIEILLARDS FORTUNÉS.

Présenté en compétition à Cannes au printemps dernier, Sleeping Beauty, de l’Australienne Julia Leigh, aura fait planer sur la Croisette une onde de trouble. Fable érotique, le film met en scène Lucy, une étudiante qui, pour joindre les 2 bouts, accepte de rejoindre, en qualité de beauté endormie, un étrange réseau de parties fines fréquenté par des hommes d’âge respectable; elle s’endort, et émerge de ce grand sommeil, et c’est comme si rien ne s’était passé. Le tout, dans une atmosphère mortuaire -c’est aussi la déliquescence d’un monde que dépeint ici la réalisatrice.

Ce premier long métrage, Leigh, une écrivain reconnue ( Ailleurs), en a eu l’inspiration au lendemain de la sortie de son roman Le chasseur, alors qu’elle faisait un cauchemar récurrent où des inconnus venaient la filmer pendant son sommeil. Avec encore à l’esprit Les belles endormies de Yasunari Kawabata et Mémoire de mes putains tristes de Gabriel Garcia Marquez, elle se lance dans l’écriture d’un film sans nul doute singulier, sans être totalement abouti. « Passer de l’écriture à la réalisation m’a semblé naturel, explique-t-elle. Romans ou film, cela découle de ma sensibilité, accumulée tout au long de mon existence. Même s’il s’agit de pratiques fort différentes, l’écrivain et le cinéaste ont aussi, à mes yeux, beaucoup en commun. » Et de rapprocher notamment de celle de l’écrivain la solitude du réalisateur, « seul à avoir l’ensemble du film dans sa tête ».

Traduire l’inconfort

Sans surprise, le montage financier du film n’a pas été qu’une partie de plaisir – « mais le projet a trouvé des gens susceptibles de le reconnaître, et qui avaient vraiment envie de le faire », sourit-elle. A quoi s’est ajouté le parrainage de Jane Campion, venue apporter la caution de son expérience: « Elle a lu le scénario une fois qu’il était terminé, et était présente pendant une bonne partie de la pré-production. Et elle a vu l’un des premiers montages du film. Son implication était fort importante pour moi, son feedback m’a confortée dans l’idée que nous étions sur la bonne voie. C’était vital. »

De son propre aveu, Julia Leigh n’est guère encline à expliquer les choses. « Ce que je trouve intéressant, résumera-t-elle, c’est que Sleeping Beauty permet aux gens d’utiliser leur imagination, qui les conduit souvent dans des endroits ne se trouvant pas dans le film. On y projette ses propres peurs, et son monde d’ombres personnel, qui sont différents d’une personne à l’autre. » Un transfert encouragé par une esthétique dont la cinéaste a eu une vision très claire dès l’écriture. Et de raconter avoir voulu, à travers sa mise en scène, traduire l’inconfort du fait de se sentir observé dans son sommeil. « Je voulais une caméra qui implique le spectateur, et qui laisse le temps comme l’espace d’être conscient de ce que l’on regarde » -témoin, mais pas voyeur, précise-t-elle encore. L’interroge-t-on sur des influences, celle de Buñuel par exemple, qu’elle explique: « J’ai regardé un éventail de films large et éclectique, sans qu’il y ait une influence prépondérante. Buñuel vient à l’esprit à cause de Belle de jour, mais j’ai surtout visionnéL’ange exterminateur , et plutôt pour une raison technique, pour voir comment il plaçait sa caméra. De même, j’ai étudiéLes fleurs de Shanghai , de Hou Hsiao Hsien, mais là encore, pour voir comment il s’y prenait pour filmer les scènes d’ensemble. Plus qu’une influence, je cherchais à trouver une manière de faire les choses, concrètement. »

S’agissant de Lucy et de son étrange passivité, elle préfère évoquer quelqu’un de « tranquillement et délibérément imprudente ». Un rôle délicat, dont la toute jeune Emily Browning s’acquitte avec bonheur: « Nous avons beaucoup parlé du scénario, et tout était soigneusement préparé et contrôlé. J’ai veillé à ne pas la bousculer, et une confiance mutuelle s’est installée. » En tout état de cause, sa prestation restera comme l’élément fédérateur d’un film diversement accueilli: « Je ne suis pas surprise par le fait que le film fasse une forte impression. Je préfère des films qui ont un impact fort, à ceux que l’on voit le lundi et que l’on a déjà oubliés le mardi matin. J’espère que le mien sera inoubliable. » Voire…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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