DE MONTMARTRE AU CANAL SAINT-MARTIN, LE FABULEUX DESTIN D’AMÉLIE POULAIN MAGNIFIE LE POTENTIEL POÉTIQUE D’UN PARIS QUE LA CAMÉRA DE JEAN-PIERRE JEUNET RÉENCHANTE AVEC ART.

« Le Paris d’Amélie Poulain n’existe nulle part, c’est une ville imaginaire, dont l’horizon est limité à un film, une ville aimée de nombreuses personnes mais que moi, personnellement, je n’ai jamais connue…  » Audrey Tautou sait bien à quel point une partie du très large et très enthousiaste public du Fabuleux Destin aimerait prendre le ravissant spectacle de Jean-Pierre Jeunet pour une alternative crédible à la réalité parisienne. Mais elle n’en déclare pas moins que  » ce Paris-là est issu de l’esprit de Jean-Pierre, il est né dans sa tête et n’est pas nostalgique de quelque chose qui aurait été là, avant…« . Rêverie inspirée par des touches de réel ou pure invention d’un artiste talentueux, doublé d’un visionnaire, le Paris d’Amélie Poulain aura profondément marqué, c’est certain, l’imaginaire de tous ceux et celles qui, déjà, refont le parcours des lieux « mythiques » que sont la Brasserie des 2 Moulins et l’épicerie de l’ignoble Monsieur Collignon…

Il faut que Jeunet se passe

Jean-Pierre Jeunet possède l’art de magnifier les endroits qu’il embrasse de sa caméra. Et il n’est certes pas avare de ses enchantements dans un film jouant en permanence la carte des rapports entre personnages et décors. Dès les premiers plans, une rue filmée au ras des pavés, une découverte laissant apercevoir la Tour Eiffel derrière une table dont la nappe blanche se soulève, un intérieur par la fenêtre duquel on aperçoit la basilique du Sacré-C£ur de Montmartre, la poétisation du réel est en marche, pour ne plus s’arrêter. Ainsi la piscine des Amiraux, £uvre art déco classée de l’architecte Henri Sauvage, se trouvera magnifiée par l’éclairage et la colorisation de Jeunet. On peut s’y baigner, en gagnant le XVIIIe arrondissement et sa rue des Amiraux. Mais l’eau y est d’un bleuté transparent, et les lumières normalement blanches, alors que l’une comme les autres viraient au turquoise dans Le Fabuleux destin.

Des carreaux recouvrant les murs de la piscine à ceux du métro parisien, il n’y a qu’un pas que le film exploite poétiquement. Jeunet aime ces stations, et ne se prive pas de les inclure dans le parcours d’Amélie. Les marches métalliques de la station La Motte-Piquet Grenelle (l’héroïne y découvre les affiches  » Où et quand? » placardées à son intention par Nino), la ravissante entrée de la station Lamarck-Caulaincourt (entre 3 escaliers de pierre) où elle quitte l’aveugle auquel elle vient de décrire le quartier, sont notamment au menu. Mais c’est la station Abbesses qui figure le plus abondamment dans le film, où Amélie rencontre le vieil homme au tourne-disque, et observe surtout un étrange jeune homme récupérant les photos déchirées au pied d’un Photomaton. Ironiquement, la station où furent tournées ces séquences fameuses n’est pas Abbesses (comme signalé dans le film) mais bien… Porte des Lilas. Cette dernière étant systématiquement proposée aux cinéastes car elle dispose de tout l’équipement nécessaire…

Partir, revenir

Si l’ami Jeunet aime le métro, il affectionne aussi les gares! C’est de celle du Nord, où arrive le Thalys venant de Bruxelles, qu’Amélie quitte Paris,  » souvent, le week-end« , pour aller rendre visite à son père. Lequel possède un pavillon à Eaubonne. Et c’est dans la gare d’Ermont-Eaubonne qu’Amélie, ayant raté le dernier train retournant à Paris, dort dans un Photomaton… Mais c’est la gare de l’Est qui joue le rôle le plus important, puisque l’héroïne du film y entre dans un autre Photomaton pour s’y faire tirer le portrait déguisée en Zorro. C’est là aussi qu’elle reconnaît Nino, le jeune récupérateur de clichés jetés. Et là surtout qu’elle finit par lui donner rendez-vous, dans la salle des pas perdus.

Son déguisement de justicier masqué, c’est dans un magasin de costumes et de farces et attrapes du XXIe ar-rondissement situé avenue de la République (au numéro 11) – le quartier du Chacun cherche son chat de Klapisch -, qu’Amélie en effectue la location. Nous retrouvons vite la trace de l’héroïne non loin de là, au canal Saint-Martin. La mélancolique beauté de cet endroit, où la jeune fille lance des cailloux dans l’eau, en fait l’un des lieux de promenade les plus attachants de Paris. Le quai de Jemappes, qui le borde, est celui de l’Hôtel du Nord, fameux grâce au film du même nom tourné par Marcel Carné et… en studio, dans un des plus beaux décors d’Alexandre Trauner.

Il faut prendre le métro pour aller, de là, au parvis Notre-Dame où la jeune Amélie brûle des cierges pour avoir un petit frère… et où sa maman est tuée par la chute d’une touriste québécoise et suicidaire, sautant d’une tour de la cathédrale… Ou pour se rendre quai de Conti et traverser le pont des Arts ainsi que le fait Amélie dans un moment de plénitude. Ou enfin gagner le Ve arrondissement et le 138 rue Mouffetard, où se trouve le glacier Octave et devant lequel Jean-Pierre Jeunet situe la cabine téléphonique où Dominique Bretodeau trouve la boîte aux souvenirs d’enfance déposée à son intention par une Amélie débutant sa carrière de bienfaitrice de l’humanité…

Quand le but est la Butte…

Mais le bon marcheur peut faire à pied le chemin de larges artères menant du canal Saint-Martin à Pigalle, où le film situe (au 74 boulevard de Clichy) le Palace Vidéo, le sex-shop où travaille Nino et où Amélie s’aventure à la recherche du jeune homme. Quelques pas encore et nous parvenons sur la Place de Clichy, au pied de la colline s’élevant vers Montmartre. C’est ici que les fans du Fabuleux destin se donnent rendez-vous pour monter, de rue en rue, cette Butte devenue par la grâce d’un film une sorte d' »Amélieland ». Un peu plus haut que la station de métro Abbesses s’ouvre la rue Tholozé. S’y trouve, au numéro 10, le Studio 28, le cinéma où la môme Poulain aime se faire une séance le vendredi soir. C’est là que l’héroïne voit Jules et Jim de Truffaut. Le Studio 28 est une salle historique, ouverte en 1928, et où eurent lieu de mémorables (et parfois tumultueuses) premières d’£uvres de Cocteau et de Buñuel. Autre rue en forte pente, à un jet de pierre de là, la rue Lepic abrite la désormais célébrissime brasserie des 2 Moulins. C’est là qu’Amélie est serveuse, et qu’une buraliste et un client s’envoient en l’air dans les toilettes pour une scène dans laquelle Jeunet lance un joli clin d’£il à une séquence de Delicatessen. L’établissement a conservé le charme que le cinéaste lui voyait, et il gère avec sympathie les demandes de touristes n’ayant pas fait fuir la clientèle locale.

Un peu plus haut, un peu plus loin, rue des Trois Frères, se dresse sur un coin la Maison Collignon, l’épicerie où un malheureux employé (joué par Jamel Debbouze) subit les humiliations d’un patron qui ne perd rien pour attendre… L’enseigne « Maison Collignon » est toujours là, au-dessus de la tente arborant le vrai nom de l’épicerie: « Au marché de la Butte ». Les affaires y marchent toujours bien depuis la sortie du film. Même si tous les gens se faisant photographier la devanture en toile de fond n’y font pas leurs emplettes. Quelques rues encore et c’est la place du Tertre, puis le Sacré-C£ur. Montmartre à son plus touristique, mais une vue imprenable sur Paris. Reste à redescendre par les jardins où Amélie impose un mémorable jeu de piste à Nino avant de l’abandonner, non loin du carrousel que les enfants de Paris connaissent bien. Puis à retourner gare du Nord, prendre le train non pas pour Eaubonne mais pour notre bonne vieille Bruxelles, prochaine étape de notre série « Ville et cinéma »…

EN LIEN AVEC NOTRE SÉRIE D’ÉTÉ, LA CINEMATEK PROGRAMME FILMCITIES, UN CYCLE SUR LES VILLES AU CINÉMA. JUSQU’AU 31/08, À BRUXELLES. À (RE)VOIR: LE FABULEUX DESTIN D’AMÉLIE POULAIN, LE 13/08.

TEXTE LOUIS DANVERS, À PARIS

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