Le 1er janvier, la chanteuse s’est éteinte chez elle, à Montréal, emportée par un cancer. Au printemps, on avait encore pu discuter avec elle de son troisième album. Son ultime…

Récemment encore, The Times proposait son classement des 10 meilleurs disques world de la décennie. A la troisième place figurait The Living Road, le deuxième album de Lhasa. Une jolie récompense, même si on pourra toujours discuter la catégorie en question. World, Lhasa? Sans doute, si l’on considère ses racines, fille d’un père mexicain et d’une mère américaine. Elle passera ainsi son enfance trimballée, elle et ses 9 frères et s£ur, dans un bus entre les 2 pays. Plus tard, c’est du Québec que Lhasa de Sela lancera sa carrière. Le temps de 3 albums. Assez que pour imposer une voix, une personnalité. Trop peu que pour ne pas avoir envie d’une suite. Elle ne viendra pas. Le 1er janvier, Lhasa s’est éteinte, emportée par un cancer du sein. La nouvelle n’a été annoncée officiellement que 2 jours plus tard. « Il a neigé plus de 40 heures à Montréal depuis son départ », concluait le communiqué.

Son dernier album, sobrement intitulé Lhasa, est sorti au printemps dernier. On en avait profité pour rencontrer la dame.

Pour ce disque, votre voix a pris des couleurs qu’on ne lui connaissait pas. Un cas de force majeur ou un choix esthétique?

Les deux. Lors de la tournée précédente, j’ai eu des problèmes aux cordes vocales. J’avais pris des mauvaises habitudes. Au départ, j’ai commencé dans les bars. J’y ai appris à chanter fort. Par la suite, j’ai continué à penser que pour toucher les gens il fallait que je mette beaucoup d’intensité dans la voix. Mais c’est impossible de chanter tout le temps comme ça. J’ai alors commencé à écouter beaucoup plus des artistes comme Al Green, Sam Cooke… On a l’impression qu’ils chantent sans effort. Et en même temps, c’est tellement beau et profond. Il y a la puissance sans la force. C’est à ça que je voulais arriver.

Pas uniquement pour protéger votre voix?

Non, pas seulement. J’étais vraiment prête aussi à découvrir quelque chose d’autre. Tout ça m’a questionnée sur la manière dont j’avais envie de chanter. De vivre la musique aussi. Cet album est le résultat de cette réflexion. Avant, plus je chantais, plus j’étais épuisée. Ici, au plus je chante, au plus j’ai l’impression de quasi flotter. Pour moi, cela a presque valeur de métaphore sur la recherche de soi. Quand on est en accord avec soi-même, tout est tellement plus facile. Tant qu’on se bat avec celui ou celle qu’on est vraiment, on perd beaucoup d’énergie. C’est épuisant. C’est la jeunesse aussi qui fait ça. Jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’il y a une manière plus « économique » de vivre (rires).

Après la dernière tournée, vous avez à nouveau pris un moment pour ne plus faire de musique.

Après les 2 premiers albums, j’ai senti qu’il y avait des ajustements majeurs à faire… Il a fallu que je prenne le temps de voir où aller. Je suis assez lente. Au début, Stuart Staples, le chanteur des Tindersticks, m’a proposé de réaliser l’album. C’est quelqu’un que j’adore, qui a énormément de goût et d’expérience. Pour moi, c’était la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Mais un truc clochait. J’ai mis du temps pour comprendre qu’en fait, j’avais besoin de faire un album toute seule. Jusque-là, plein de choses, d’accidents, de coïncidences m’arrivaient et m’empêchaient d’avancer. Le jour où j’ai compris ce que j’avais à faire, toutes les portes se sont ouvertes, les bonnes personnes sont arrivées. Tout est venu comme par magie…

Le disque est simplement intitulé Lhasa. C’est curieux pour un 3e album, non?

C’est vrai. Le premier, je l’ai appelé La Llorona. C’était très conscient. Ce n’était pas moi, mais la pleureuse en moi (rires). Les textes tournaient beaucoup autour de ça: de l’attirance pour le drame, la mélancolie, l’ombre… Cela me correspondait à ce moment-là. Mais c’était clair que cela n’allait pas durer toute une vie.

La tristesse ou la mélancolie restent pourtant un moteur de ce nouveau disque…

Disons que j’essaie de faire des choses belles, avec mon propre vocabulaire. Or il se trouve que je suis attirée par les accords mineurs, par une certaine contemplation de la vie. On peut trouver cela triste, mais personnellement je ne le sens pas comme ça. C’est comme Radiohead. Je connais beaucoup de gens autour de moi qui trouvent leur musique déprimante. Ce n’est pas mon cas, au contraire. En fait, ce qui me déprime, c’est la variété, les trucs genre  » baby, baby » (rires).

Un chanteur comme Al Green pourtant n’est pas triste…

Juste! Mais Al Green est incroyable. Tout est là. Il y a une simplicité, une sagesse… Il vient du gospel, et on retrouve cette façon de pointer les difficultés et de dire « soyons forts, soyons courageux, levons-nous même si c’est difficile »…

Que ce soit avec des titres comme 1001 Nights ou A Fish On Land, vous semblez apprécier les contes. C’est une forme pratique pour raconter des histoires en chansons?

Je ne sais pas… La magie du quotidien est importante pour moi. Le réalisme est un mensonge. C’est un manque d’imagination, un manque d’esprit de jeu. Si on pense être assez sage et clairvoyant pour connaître exactement la réalité, on se trompe complètement. D’abord, il n’y en a pas qu’une, ce serait arrogant de dire ça. Mieux vaut donc l’imaginer.

En fin de disque, vous chantez notamment « There’s not enough breath in a single day to pray everyone will be ok »…

Quand j’ai écrit cette chanson, Anyone And Everyone, je pensais à une sorte d’atterrissage, l’impression de se sentir chez soi. La sensation d’être bien dans le monde, de se rendre compte que l’on n’est pas tout le temps en danger.

Vous avez trouvé cet endroit?

Oui. Cette phrase en particulier parle de l’angoisse qu’on peut avoir pour les personnes qu’on aime, tout en se rendant bien compte que cela ne va pas empêcher qu’il puisse leur arriver à un moment quelque chose. On ne peut pas vouloir les protéger tout le temps, il faut les laisser vivre leur vie. C’est une façon de dire: permets-toi d’être bien, de juste respirer et laisse les autres faire leur chemin. Sans vouloir être tout le temps derrière, à suivre le destin de chacun, en priant pour que tout se passe bien.

Discographie de Lhasa chez Warner.

Texte Laurent Hoebrechts

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