Ils ont déjà fait couler beaucoup de sang et d’encre depuis qu’ils sont sortis de leur léthargie pour venir hanter nos nuits. Les vampires, espèce que l’on croyait en voie d’extinction et de ringardisation en dépit de quelques réminiscences furtives mais fiévreuses dans les années 90 (quand le mythe passa entre les mains de Coppola puis de Neil Jordan), ont repris du service subitement il y a 3, 4 ans à la faveur de quelques romans aux dents longues – forcément -, et surtout de leurs succédanés au cinéma et à la télé. A commencer par Fascination de Stephenie Meyer, best-seller mondial et matrice de la série des Twilight dont le premier volet a fait frémir d’angoisse et de plaisir toute une génération. Car ce sont bien les ados qui ont… mordu les premiers à l’hameçon, redécouvrant tout en le rajeunissant cette créature enfouie sous la couche de poussière du roman originel de Bram Stocker (1897). Avec Robert Pattinson, on est loin du Nosferatu aux doigts crochus et au regard halluciné de Murnau… Si le vampire a toujours soif de sang frais, il a nettement meilleure mine. Et parfois même des intentions louables. Pourquoi revenir alors sur un sujet largement vampirisé par les médias? Parce que ce qui pouvait passer pour de l’inoffensive draculaphilie est en train de virer à la draculapathie, sa version hardcore, obsédante, épidémique. A tous les étages de la création artistique flotte une forte odeur d’ail. Comme si le mythe avait imprégné tous les tissus de l’imaginaire. Ainsi, rien que ce mois-ci, les vampirolâtres vont pouvoir se mettre sous la dent Dracula, la pièce de théâtre ( Dracula toujours vivant au théâtre des Martyrs à Bruxelles), Dracula, le film ( Twilight 2, qui sort dans l’hystérie générale programmée le 18), et Dracula, le livre ( Dracula, l’Immortel, suite de l’£uvre étalon signée de l’arrière-petit neveu de Stocker). Et on ne parle pas de True Blood, la série télé, ou de La lignée, le thriller gore de Guillermo Del Toro et Chuck Hogan publié le mois dernier. Si c’est pas de l’acharnement thérapeutique, ça! D’où cette question: qu’est-ce qui peut bien justifier cette remise au goût (de sang) du jour d’un personnage à priori aussi peu recommandable? C’est en relisant le dictionnaire des symboles de Chevalier et Gheerbrant (Robert Laffont, collection Bouquins) que nous avons trouvé la réponse. « Le vampire symbolise l’appétit de vivre, qui renaît chaque fois qu’on le croit apaisé et que l’on s’épuise à satisfaire en vain, tant qu’il n’est pas maîtrisé. » Bon sang mais c’est bien sûr! Remplacez « vampire » par » consommateur » ou « individu post-moderne »et vous avez une définition saisissante des m£urs de notre époque. Jamais repu, le suceur de sang comme le suceur de biens dévore tout ce qui l’entoure pour son plaisir personnel sans se douter qu’il participe du même coup à sa propre entreprise d’autodes-truction. Pauvres mortels!
Par Laurent Raphaël
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