UNA VIA A PALERMO CONSACRE LES RETROUVAILLES DE ALBA ROHRWACHER AVEC EMMA DANTE, LA METTEUSE EN SCÈNE QUI LA FIT DÉBUTER SUR LES PLANCHES. RETOUR SUR UNE EXPÉRIENCE FONDATRICE…

Si elle rêvait, enfant, de devenir saltimbanque, c’est finalement devant les caméras que s’est épanouie la grâce fragile d’Alba Rohrwacher. Dix ans après ses débuts dans L’Amore Ritrovato, de Carlo Mazzacurati, l’actrice florentine a ainsi composé l’un des parcours les plus troublants du cinéma transalpin, habitant notamment l’oeuvre des Daniele Luchetti, Silvio Soldini, Luca Guadagnino, Saverio Costanzo ou autre Marco Bellocchio. Soit autant de choix traduisant une exigence qu’elle a collée à une peau par ailleurs diaphane, en un mouvement dans lequel s’inscrit aujourd’hui Una Via a Palermo, le premier long métrage d’Emma Dante, metteuse en scène de théâtre à la notoriété bien établie.

Cette expérience, Alba Rohrwacher confie combien elle a revêtu un caractère particulier pour elle, la comédienne retrouvant là celle qui l’avait fait débuter sur les planches. « Quand j’ai terminé mes études au Centro Sperimentale di Cinematografia, je me suis inscrite à un atelier organisé par Emma, avec qui j’ai travaillé pendant un an et demi. J’ai été véritablement foudroyée par cette expérience d’un point de vue artistique, tant je me suis reconnue dans sa façon dure, profonde et tellement intense de travailler avec les acteurs. Emma cherche à faire ressortir le côté le plus sombre, cette face, guère connue, qu’on a tendance à dissimuler. Quand on se sait soumis en permanence au jugement, on est plus enclin à se montrer sous un jour positif. Mais l’obstination d’Emma à chercher ma part d’ombre m’a fait comprendre que c’était la partie de ma personnalité qui m’intéressait vraiment. »

Vers les extrêmes

Cet enseignement, l’actrice s’est ensuite employée à le mettre en oeuvre, son parcours adoptant une ligne sinueuse -à l’inverse du tatouage qui lui barre le corps dans Una Via a Palermo, manière limpide, pour le coup, de traduire l’androgynie de son personnage, Clara, compagne de l’une des deux protagonistes de ce duel à Palerme. Physique atypique et ondoyant, Alba Rohrwacher n’en finit plus, en effet, de faire un outil de sa personne, écho peut-être de l’époque où, très jeune, elle n’aspirait rien tant qu’à « travailler avec mon corps et de le porter aux extrêmes. Il m’a fallu attendre de rencontrer Emma pour pouvoir amener ce désir au théâtre. » Le cinéma suivrait, sans que sa philosophie s’en trouve altérée. « Etre comédienne, à mes yeux, c’est prendre des risques, repousser la limite toujours plus loin, manière de ne pas rester coincé où l’on est ni de se fossiliser, mais d’aller de l’avant. Je n’aime rien tant que me mettre en danger, tout en m’en remettant à un metteur en scène en qui j’ai confiance, et qui sera toujours à mes côtés quand certaines choses feront ressortir mes côtés monstrueux ou fragiles… » Evoque-t-on ainsi en sa compagnie les réalisateurs ayant eu un impact décisif sur son parcours qu’elle cite, outre Pupi Avati et Silvio Soldini qui la firent éclore au cinéma, ceux qui l’ont incitée à se dépasser: « Saverio Costanzo qui, dans La Solitude des nombres premiers, m’a poussée aux extrêmes, Marco Bellocchio, avec qui j’ai fait un exercice de l’âme, ou Doris Dorrie, qui m’a aidée à grandir en me faisant aller au-delà de la limite de la langue. »

Modeste en apparence, Una Via a Palermo n’en transcende pas moins son cadre, suivant le précepte voulant que le plus local l’ancrage, le plus universel le propos. « C’est une leçon de vie, et pas seulement de cinéma, observe-t-elle à cet égard. Plus tu restes fidèle à toi-même, plus tu peux atteindre le monde… » La portée métaphorique du conflit sous-tendant le film est d’ailleurs limpide, qu’elle cerne dans une formule simple: « Il y a là une obstination dangereuse qui peut déclencher une guerre inutile -aucune guerre n’est nécessaire. » Emma Dante et ses comédiens savent y mettre les formes, qui donnent à cette (més)aventure palermitaine des contours singuliers, pour un impact contrasté: « En découvrant le film, j’ai eu une réaction voisine de celle que j’avais eue en voyant Vita Mia, un spectacle créé par Emma au théâtre. Il s’agit de tragédies, où le chagrin est très fort, ce qui fait naître en moi un océan de douleur, avec toutefois une catharsis finale… » Aventureuse, toujours.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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