POUR SON PASSAGE DERRIÈRE LA CAMÉRA, LE SCÉNARISTE JULIEN RAPPENEAU ADAPTE ROSALIE BLUM, LE ROMAN GRAPHIQUE DE CAMILLE JOURDY, ET SIGNE UN FILM EN PRISE DÉLICATE SUR LA SOLITUDE CONTEMPORAINE.

Chez les Rappeneau, le cinéma est une affaire de famille. Après Jean-Paul, le père, réalisateur de pépites comme La Vie de château, Le Sauvage ou, tout récemment, Belles familles, voici donc Julien, le fils, qui livre avec Rosalie Blum un premier long métrage délicat, dont son frère Martin a par ailleurs signé la musique. « Mon père nous a toujours dit, à mon frère et moi, de ne pas faire de cinéma tant c’était compliqué, sourit-il, alors qu’on l’interroge sur l’héritage familial. Mais moi, j’ai toujours adoré ça, c’était ma passion. On en parlait beaucoup à la maison -ma tante est aussi réalisatrice-, et j’ai donc vraiment baigné dedans. Pour autant, je ne me suis pas dit tout de suite que j’allais en faire: j’ai suivi des études, et je suis devenu journaliste. »

Jusqu’au jour où les Rappeneau père et fils entament, à la fin des années 90, un dialogue qui se transforme en co-écriture et va déboucher sur Bon voyage.« J’ai été rattrapé par quelque chose que j’avais toujours voulu faire au fond de moi, et je me suis décidé à devenir scénariste… » Quinze ans plus tard, et après avoir signé les scénarios de films aussi divers que 36 Quai des Orfèvres d’Olivier Marchal, Pars vite et reviens tard de Régis Wargnier, Largo Winch de Jérôme Salle, Cloclo de Florent Siri ou, dernièrement, Au nom de ma fille de Vincent Garenq, voilà donc que Julien Rappeneau endosse le costume de réalisateur. Une évolution naturelle, explique-t-il: « Je n’étais pas frustré comme scénariste, mais quand on écrit une scène, on a toujours tendance à la pré-visualiser, il y a une sorte de pré-mise en scène qui se fait dans son esprit. Cela me titillait donc d’aller voir au-delà du scénario, et de travailler avec des acteurs. Mais je n’ai pas voulu faire un film pour faire un film, j’ai attendu d’avoir le sujet et l’histoire qui m’en donneraient l’envie et l’énergie. » Le déclic se produit avec Rosalie Blum (1), roman graphique en trois parties publié par Camille Jourdy de 2007 à 2009.

Des héros du quotidien

Au croisement de multiples solitudes, la bande dessinée raconte l’histoire de Vincent Machot, individu dont la morne existence s’ouvre à l’imprévu le jour où il croise Rosalie Blum, une inconnue à l’air vaguement familier qu’il va décider de suivre. « J’ai eu un vrai coup de coeur, poursuit Julien Rappeneau. J’ai été extrêmement touché par les personnages, dont j’ai aimé à la fois les fêlures, mais aussi l’humour qu’ils peuvent porter sur eux-mêmes. Il y avait également un principe de récit jubilatoire, et une histoire originale. J’y ai vu quelque chose proche de ma sensibilité et le moyen d’en faire un film que je n’avais pas l’impression d’avoir déjà vu, je me suis donc lancé dans l’aventure. » S’appuyant sur une narration à trois voix, le film est découpé en autant de chapitres, adoptant les points de vue successifs de Vincent, Rosalie et Aude, nièce de la précédente, sur les événements, à la manière, par exemple, du Rashomon d’Akira Kurosawa. Un dispositif dont le réalisateur tire le meilleur parti, fort, à l’évidence, de son expérience de scénariste. Plus encore, toutefois, qu’à la mécanique du récit, Rappeneau raconte avoir été sensible à son élan: « Rosalie Blum, ce sont des héros du quotidien bouleversés par du romanesque à l’échelle humaine. L’étrange histoire de filature de Vincent Machot va remettre sa vie en mouvement, et d’autres avec elle. Et le mouvement, c’est le moteur même du cinéma. »

Ce mouvement, le cinéaste a choisi, fidèle en cela au roman graphique, de l’inscrire dans une ville de province -Nevers, en l’occurrence-, donnant à voir une France telle que le cinéma ne la montre guère, un élément essentiel à ses yeux. « Je suis Parisien d’origine, mais j’ai toujours eu, peut-être par mes grands-parents et mon père, qui a des racines provinciales, une attirance pour les petites villes de province, où je me réfugie parfois pour écrire. Ces territoires sont de plus en plus reculés depuis que le TGV a encore centralisé la géographie française autour des métropoles, et il s’en dégage un parfum particulier. Ça me plaisait beaucoup que mon premier film s’y déroule, parce que visuellement, ce sont en effet des lieux que l’on ne voit guère. Je ne suis pas sûr qu’il y ait eu beaucoup de tournages à Nevers depuis Hiroshima mon amour. Je me suis promené dans plusieurs villes de taille moyenne, et quand je me suis rendu à Nevers, j’y ai trouvé l’ambiance voulue, qui me fait penser au travail de Raymond Depardon sur la France, en gros, des sous-préfectures. »

Et de fait, il émane de Rosalie Blum une atmosphère toute particulière, tapissée d’habitudes déclinées de salon de coiffure en zinc de comptoir, en un quotidien inlassablement répété dont le romanesque va venir rompre la monotonie. Encore convenait-il de trouver le ton approprié, et si l’on peut voir dans le film comme un concentré de la solitude contemporaine, Julien Rappeneau veille aussi à ne pas charger la barque, préférant la douceur à la noirceur, pour jouer la carte d’une tendresse pour ainsi dire anachronique. « Je crois que cela me ressemble. Le film traite un peu de ce que Souchon appelle l’ultra-moderne solitude, et de la façon dont l’imprévu peut l’en sortir, et l’espoir renaître. Cela ne m’a jamais traversé l’esprit d’être dans le ton sur ton, une vie morose devant donner un film grisâtre, ce n’était pas mon propos. Pour moi, et c’est aussi ce que j’aimais dans la BD, il s’agissait d’y apporter de l’humour, de l’imprévu et de la fantaisie, parce que c’est ma façon de voir l’existence. » L’aventure de la vie est, somme toute, au coin de la rue, façon encore, suivant le précepte cher à Jacques Demy, de ré-enchanter le monde…

(1) DISPONIBLE, EN VERSION INTÉGRALE, CHEZ ACTES SUD BD.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Paris

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