La meilleure défense, c’est l’Attack. Avec son cinquième album, le vénéneux Heligoland, Massive repart de l’avant tiré par ses 2 attaquants. Rencontre avec 3D. Dans son jardin ou presque…

Rendre visite à Massive Attack dans son bled, Bristol, a quelque chose de sacrément excitant. Malheureusement, la rencontre a été fixée sous les toits d’un hôtel design et impersonnel qui rappelle autant la capitale mondiale du trip-hop que Bruxelles, Londres, New York ou Kingston. La seule chose finalement qui rattache un tant soit peu notre rendez-vous à son théâtre britannique, c’est la vue, imprenable. Relax, loquace, Robert Del Naja, aka 3D, tente de nous montrer le stade de Bristol City… Ça y est. C’est parti.

C’était quoi l’idée quand vous vous êtes mis à bosser sur ce nouvel album?

Il y avait beaucoup de complexité, de protools, de micro management sur 100th Window, notre album précédent. Pour Heligoland, je tenais à ce qu’on puisse entendre distinctement la guitare, la basse, la batterie. Pas qu’on se demande ce qu’était notre son. Je voulais une production austère, spartiate, simplifiée. Quelque chose de direct. Et ça ne veut pas dire que ce soit un processus facile ou fainéant. J’ai bossé sur beaucoup de B.O. Je voulais m’éloigner de leur approche. En composant avec Protools, vu l’évolution des ordinateurs, tu peux tellement enregistrer et voler de sons dans des bibliothèques ou ailleurs que tu n’es plus vraiment un musicien. Tu peux manipuler continuellement les informations. Je voulais éviter ces procédés. Réécrire des chansons une à une. Un peu comme le photographe retrouve son vieil appareil rustique après lui avoir fait des infidélités avec un digital. Nous on garde encore tout sur bandes. C’est nettement plus sécurisant.

Comment s’est passé l’enregistrement? On sait que les relations entre vous ne sont pas toujours des plus paisibles…

J’ai passé beaucoup de temps en studio. Et Daddy G nettement moins. C’est pas vraiment son truc. Il a une approche de DJ. Alors dès qu’il en marre, il se barre… Et ça ne fait pas toujours de grosses journées (rires). Nous avons essayé d’accepter nos différences de manière assez pragmatique. Comme des vieux copains d’école qui n’avaient plus traîné ensemble depuis un bout de temps. Il faut parfois faire des efforts pour ne pas se taper dessus mais ça fait du bien de se retrouver. Pendant tout un temps, je n’étais même plus disposé à lui passer un coup de fil pour son anniversaire ou à lui envoyer une carte de v£ux.

Vos voisins et amis (Adrian Utley joue de la guitare sur Heligoland , ndlr) de Portishead sont revenus aux affaires l’an dernier après un long mutisme. Qu’avez-vous pensé de leur come-back?

J’ai toujours beaucoup aimé Portishead. Et je pense surtout qu’ils nous ont fait une faveur en prenant 11 ans pour sortir leur troisième album. Un écart presque imbattable entre 2 disques…

Massive Attack n’a jamais eu sa langue en poche. On se souvient même que vous aviez acheté des pages de publicité avec Damon Albarn pour dénoncer la guerre en Irak. De quoi parle Heligoland?

Il n’existe pas vraiment un thème qui traverse tout l’album. Il y a toujours une espèce de non-sens abstrait et nous traitons de manière générale des relations humaines. Flat of the Blade évoque un soldat perturbé qui revient de la guerre. Pray for rain parle de désastre, de conflits familiaux, de comment on voit l’Afrique. Et dans Atlas Air, il est question d’espionnage. En Angleterre, nous avons des caméras partout sauf sur les terrains de football… On vit une époque étrange. Le gouvernement actuel essaie de passer plus de lois que tous ceux qui l’ont précédé pendant un siècle. Dans le temps, tu ne pouvais pas couper un arbre, c’était un crime terrible puni de la peine de mort. On en revient à ça quelque part avec les lois anti-terroristes…

Mettre ses chansons en streaming sur le Web avant même la sortie de l’album, ce n’est pas quelque part se tirer une balle dans le pied?

Je pense que les gens accordent encore de la valeur aux choses quand elles sont bien présentées. Avec un beau packaging. Un artwork qui en vaille la peine. Dans le temps, la maison de disques nous reprochait de telles considérations et aujourd’hui elle ferait nos poubelles pour trouver un truc à offrir avec l’album. En 1999, nous avions réuni tous nos singles dans un coffret sensitif qui changeait de couleur en fonction de la chaleur. Vous savez pourquoi? Parce que la maison de disques avait perdu tout notre artwork. Toutes mes créations originales. Il faut vivre avec son époque et je trouve la nôtre plutôt excitante. Un album, par exemple, n’est plus désormais ce que tu as sorti telle année, tel mois, tel jour. C’est quelque chose qui vit. Des chansons qui évoluent. Que l’auditeur a parfois déjà entendu à l’état de démo. Massive Attack a des morceaux qui n’existent que sur scène. Et donc probablement sur des téléphones portables et Internet. Quand elles ont été jouées, c’est comme si elles étaient sorties. Les choses sont bien plus intéressantes aujourd’hui que par le passé.

Avant de vous consacrer à la musique, vous faisiez dans l’art graphique (Banksy le considère d’ailleurs comme une de ses grandes influences, ndlr). A quoi fait référence la pochette d’ Heligoland que vous avez vous-même conçue?

Vous pouvez y voir l’affiche d’ Orange Mécanique mais c’est une espèce d’anagramme. Comme notre approche de l’écriture. Le mystère de la culture. Je n’ai pas beaucoup peint ces derniers temps. Je suis plutôt fainéant. J’ai besoin de deadlines. C’est James Lavelle (patron du label Mowax et fondateur d’Unkle, ndlr) qui m’a remis en selle en me demandant de travailler sur le visuel de l’album War Stories. Je suis un grand fan de Futura 2000. Lui succéder me foutait la pression mais j’y ai pris beaucoup de plaisir. Et je me suis retrouvé à nouveau fourré dans mon garage au bout du jardin.

Vous vous êtes entourés d’une fameuse brochette de collaborateurs. Comment s’annonce la tournée?

On ne peut pas tourner dans le sens traditionnel du terme quand on s’appelle Massive Attack. On ne l’a jamais pu. Nous avons toujours amené nos concerts sur le terrain de sound systems. Pour les visuels de notre prochaine tournée, ce sera une évolution de nos dernières mises en scène. Je vois le live comme une expérience unique où on essaie de transmettre des images et de la musique. Raconter quelque chose de notre histoire, une partie de notre présent et un peu de notre futur. Pour l’instant, je vis quelque part entre aujourd’hui et demain. Hier, c’est drôle, mais davantage une affaire de nostalgiques.

Vous déclariez tout de même récemment avoir l’impression de retomber dans l’adolescence…

En Angleterre, nous sommes dans un drôle de cycle. J’ai quelque part le sentiment d’en revenir à cette époque où nous devions nous approprier l’espace que ce soit avec notre musique ou nos graffitis. Aujourd’hui, il y a Internet pour s’exprimer mais il n’y a plus de communauté. Enfin si. Mais c’est une communauté électronique, virtuelle. On ne s’en sent pas moins seul. A l’heure qu’il est, on peut savoir tout ce qui se passe dans la vie d’un mec à l’autre bout du monde sans même deviner que son voisin est en train de crever de faim. En Angleterre, il n’y a plus vraiment de quartier, de groupe, ni même quelque part de famille… Je me demande ce qu’est le prochain stade de l’évolution. Comment on va en revenir à cette idée de communauté? Comment on va se réengager les uns vis-à-vis des autres.

Tant qu’on parle famille, quel regard jetez-vous sur les enfants de Massive Attack? La nouvelle scène musicale de Bristol?

Nous possédons encore de super artistes mais il s’agit d’une autre génération. D’autres groupes, d’autres DJ’s, d’autres clubs, d’autres promoteurs. Ce n’est plus notre mouvement. Je préfère donc ne pas trop m’immiscer. Ce serait de l’esbroufe. Désormais, j’apprécie la scène de Bristol de l’extérieur. Je préfère éviter tout rapprochement douteux. Plus que de groupes, il s’agit surtout de DJ’s et de producteurs dans la mouvance dubstep. Une scène très locale dans l’idée du reggae et de la drum’n’bass de l’époque. Ailleurs, les villes estudiantines comptent surtout énormément de groupes de rock. Bristol est une exception. Je ne sais pas vraiment l’expliquer. Quand on a formé notre crew de DJ’s The Wild Bunch, on a créé une scène anti-rock. Imposé une attitude punk mais avec une autre interface musicale. Les sound systems reggae contaminés par le hip hop.

Vous restez toujours aussi curieux qu’avant?

Je pense, oui. Je m’intéresse à plein de choses dans la musique. Je recherche des idées, des imaginations absorbées par le son et par l’image. Je suis constamment stimulé. C’est ce qui me fait avancer. Le rock se veut plus conceptuel et nostalgique. Toujours en train de regarder dans le rétro comme la scène actuelle engluée dans les années 80. Joy Division était le produit de son époque, de son environnement, de l’Angleterre conservatrice, de ses techniques de production. Massive Attack est le produit des années 70 et 80. Des sound systems reggae, des débuts du hip hop. De Grandmaster Flash, des Clash, des Specials, des premiers groupes électroniques. Je ne sais pas de quoi les Arctic Monkeys sont le produit. C’est bien beau les Last Shadow Puppets mais j’ai l’impression d’entendre Scott Walker dans la construction, la production, les mélodies, les arrangements. J’aime bien parce que c’est différent de ce qu’on entend maintenant mais vous préférez écouter quoi vous, Scott ou les Puppets?

Rencontre Julien Broquet, à Bristol

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