RÉVÉLÉ EN JEUNE HOMME DÉRANGÉ DANS AFTERSCHOOL PUIS WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN, EZRA MILLER CONFIRME L’ÉTENDUE D’UN TALENT PEU BANAL DANS THE PERKS OF BEING A WALLFLOWER, DRAME SENSIBLE CHRONIQUANT LES AFFRES FUGITIVES DE L’ADOLESCENCE.

Hôtel Marriott, Gand, en pleine effervescence fatiguée d’un festival du film finissant. Cheveux tombant en longues papillotes, regard embué, sourire en coin du genre malicieux, Ezra Miller nous tape dans la main comme si toute son hypothétique street credibility en dépendait. Brindille divinement métrosexuée à la blancheur diaphane, le mec, 20 ans tout mouillé, affiche une confiance absolue dans son potentiel cool. Difficile de lui donner tort, à dire vrai. Surtout que sa tête bien faite semble doublée d’une tête déjà bien pleine. Traduction: le gars Ezra a vraiment des choses intéressantes à raconter.

A l’affiche du Monde de Charlie, ou plutôt The Perks of Being a Wallflower pour la version originale, l’acteur américain y incarne Patrick, jeune gay extraverti et sensible en passe de nouer des liens d’amitié indéfectible avec le héros perturbé du film, Charlie -un personnage que Miller connaît bien, pour s’y être lui-même largement identifié à l’adolescence. « J’ai lu The Perks of Being a Wallflower quand j’avais 14 ans. Et ce livre m’a donné l’intime conviction qu’il réussissait à capter toutes les émotions complexes qui se bousculaient alors en moi, lesquelles, jusque-là, me paraissaient pour ainsi dire impossibles à formuler. L’une des choses les plus dingues que peuvent produire les grandes oeuvres d’art, qu’il s’agisse d’un bouquin, d’une chanson ou d’un film, tient sans doute à cette impression presque irréelle qu’elles s’adressent directement à vous. C’est un sentiment proche de celui que vous pouvez ressentir dans la nature, quand le soleil se reflète sur une étendue d’eau, par exemple, et que vous avez cette sensation incroyable qu’il pointe exactement vers vous. Toujours est-il qu’à l’époque, plongé dans cette histoire, j’étais bien sûr une sorte de Charlie. Je me projetais totalement dans ce personnage. Quatre ans plus tard, pourtant, quand j’ai appris que Stephen Chbosky allait adapter son propre roman et que le scénario a atterri entre mes mains, il m’est apparu comme une évidence que c’était le rôle de Patrick que je devais jouer.  »

Découvert en jeune étudiant dérangé dans le glaçant Afterschool d’Antonio Campos (2008), Miller confirme trois ans plus tard, et de quelle manière, en ado inquiétant dans le non moins cinglant We Need to Talk About Kevin de Lynne Ramsay. C’est un profil à peine plus mûr mais résolument plus doux qu’il donne toutefois à voir aujourd’hui dans The Perks of Being a Wallflower, le genre de film à même de replonger le spectateur dans cet état de nostalgie cotonneuse propre à ses années collège, dont la patine du temps aurait quelque peu estompé les aspects les plus sombres et douloureux. « J’en suis moi-même sorti trop récemment pour partager ce sentiment de tendre mélancolie à l’égard de l’adolescence, sourit l’acteur. Dans quelques années, qui sait, je me replongerai peut-être avec délice dans mes souvenirs les plus marquants de cette période.  »

Maux d’estomac et neurosciences

Pour l’heure, Ezra Miller a donc le regard résolument tourné vers l’avenir. On le découvrira ainsi bientôt, aux côtés de Mia Wasikowska et Paul Giamatti notamment, sous les traits charmeurs de Léon Dupuis dans un Madame Bovary relifté par Sophie Barthes (Cold Souls). « Sur un tournage, je ne ressens pas le besoin de devenir mon personnage, de parler ou de penser comme lui 24 heures sur 24. Par contre, le rôle est constamment présent dans mes tripes, je le porte littéralement dans mon ventre. C’est quelque chose de l’ordre d’être enceint de l’énergie du personnage. En fait, dans la foulée de We Need to Talk About Kevin, j’ai carrément eu des problèmes d’estomac, des douleurs, et je ne pouvais pour ainsi dire rien manger durant les quelques mois qui ont suivi le tournage. Il s’agit donc de faire un minimum gaffe à ce que vous choisissez de porter dans votre ventre (rire). Cela étant, le film de Lynne Ramsay reste sans doute l’expérience la plus enrichissante que j’ai vécue dans ma courte existence.  »

Courte, certes, mais déjà bien remplie: chanteur d’opéra dès l’âge de 6 ans (!), Miller embrasse la carrière d’acteur moins d’une décennie plus tard et joue de la batterie dans le groupe new-yorkais Sons of an Illustrious Father. « En un sens, chaque être humain est un acteur. Pour un gamin, c’est même sans doute la chose la plus naturelle qui soit: endosser une identité fantasmée et emmener ce personnage que vous vous créez dans une sorte de voyage personnel. C’est le sens même du jeu, dans l’acceptation la plus enfantine du terme: vous jouez au cow-boy, au policier, au samouraï… Ces personnages nourrissent les histoires que vous choisissez d’habiter, et constituent une dimension déterminante dans la formation progressive de la personnalité. A un moment donné de l’existence, ceci dit, le jeu est censé s’effacer au profit de l’apprentissage. J’ai eu la chance de me frotter à l’opéra quand j’avais 6 ans. A 8 ans, je chantais quasiment à temps plein dans un choeur d’enfants. Quelque part, ça m’a donné une excuse pour continuer à jouer, et c’est, je pense, ce qui a en quelque sorte « sauvé » l’acteur qui était en moi. Petit à petit, j’ai délaissé l’opéra pour m’intéresser au cinéma, une autre excuse pour continuer à jouer…  »

Et une manière d’explorer le vaste champ des possibles offert par le métier d’acteur, discipline de la réinvention de soi par excellence. « Au cours de notre vie, nous faisons une série de choix qui, lentement mais sûrement, semblent réduire l’éventail des possibilités qui s’ouvrent devant nous. Mais je suis tombé sur un article scientifique récemment: il existerait un point au centre de notre cerveau où règne un parfait équilibre entre intuition et pensée analytique. On l’appelle « le champ infini des possibles ». Dès lors, peu importe où vous en êtes dans votre cycle de vie: toutes les potentialités continuent d’exister à l’intérieur de votre tête. Or, rappelez-vous, dans le film, Charlie, sous l’effet d’un space cake, a cette épiphanie: « Je me sens infini. «  Et voilà qu’aujourd’hui les neurosciences nous apprennent que c’est vrai pour chacun d’entre nous. N’est-ce pas merveilleux? » Cosmique.

RENCONTRE NICOLAS CLÉMENT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content