Comment mettre des mots sur la musique de Coltrane? Réponse le 23 septembre à l’AB, avec José James et Jeff Neve, casse-cou partis pour une exploration inédite de l’ouvre de ce géant du jazz.

Il y a des complicités qui ne s’expliquent pas forcément. Des rencontres qui s’électrisent, sans qu’on l’ait vu venir… Novembre de l’an dernier, le New-Yorkais José James se retrouvait sur la scène de l’Ancienne Belgique en compagnie de l’ami Jeff Neve. Le miel vocal du premier, les espiègleries pianistiques du second… De quoi filer au jazz un bon bol d’air frais, ludique et chaleureux. Le public ne s’y est pas trompé, en applaudissant longuement ce qui n’était au départ qu’une première partie (celle de Joan as Police Woman). « On s’était rencontré pour la première fois quelques mois auparavant, explique Jeff Neve . José était de passage à Bruxelles pour la promo de The Dreamer , son premier album. Je l’avais invité dans mon émission radio, à la VRT, sur Klara (l’équivalent de Musiq 3, ndlr). On devait jouer quelques morceaux en-semble. Pour être honnête, je ne connaissais pas sa musique si bien que ça. Mais dès qu’on a commencé à jouer, cela a cliqué, sans même qu’on ait dû répéter avant. J’avais l’impression qu’on se tirait l’un l’autre vers le haut. »

José James, c’est l’histoire d’un gamin à qui le hip hop a eu la bonne idée de présenter le jazz. Pas besoin de grand-chose: un riff de trompette ou une ligne de contrebasse repiqués par des groupes de rap aussi essentiels que Gangs-tarr, A Tribe Called Quest… Et le jeune José James de remonter la filière. Louis Armstrong, Billie Holiday, Duke Ellington, Charlie Parker… Et puis, Coltrane. Un jour, il décide de s’arrêter plus longuement sur Equinox, un blues limpide, sur l’album Coltrane’s Sound (1960). « J’ai commencé à écrire des paroles, juste pour le fun, pour voir si j’y arriverais. Je ne voulais pas spécialement devenir chanteur de jazz. A l’époque, mon but était plutôt de devenir écrivain. Mais jamais un morceau de musique ne m’avait emporté aussi loin. J’ai dû l’écouter un millier de fois. »

James n’obtiendra jamais les droits pour sortir sa version. Mais la porte est ouverte. Elle mènera à The Dreamer, premier essai sorti en 2008, au jazz chaleureux et élégant, éduqué et en même temps accessible à la génération hip hop. Entre-temps, le chanteur continue de creuser l’£uvre du ‘Trane. Alors forcément, quand, en novembre dernier, au sortir de la scène, les respon-sables de l’Ancienne Belgique lui proposent de monter avec Jeff Neve un concert autour du maître, José James ne peut qu’accepter.

Picasso

S’attaquer à Coltrane, c’est faire face à l’Everest. Et puis, il y a ce paradoxe: celui de vouloir « chanter » Coltrane, acteur primordial d’une époque qui a vu la fin de l’âge d’or des chanteurs de jazz, petit à petit remisés au placard. « C’est vrai, reconnaît James. Mais Coltrane voulait aussi devenir un vocaliste, il adorait chanter. Tous les joueurs d’instruments à vent aiment ça. Dans les 2 cas, c’est une question de respiration. »

N’empêche: le pari reste risqué. Comment se faire une place là où tout coule de source? Comment mettre des mots sur une musique qui n’en a jamais eu besoin pour dire la beauté, la peine, l’amour et la perte? « Coltrane a laissé quelques indices. Il y a évidemment le disque avec le vocaliste Johnny Hartman (1963): pour moi, on peut y entendre le quartet de jazz le plus en avance sur son temps! Et puis il y a A Love Supreme … » Sommet musical et spirituel, pour lequel Coltrane écrivit un poème. Le seul album de sa discographie à s’appuyer explicitement sur du texte. « Pas tout à fait, sourit James. C’est le seul pour lequel il a écrit des textes auxquels on a accès! Mais pour Crescent (1964), par exemple, chaque chanson est également basée sur un poème… Il utilisait cela comme un truc de composition. »

Restait donc à sélectionner le matériel dans un répertoire à multiples facettes. « C’est comme Picasso, souligne José James. Sa carrière est tellement incroyable, immense et diverse. Que faire? Quelle période choisir?Il y a évidemment des morceaux qui se prêtent davantage à l’exercice que d’autres, mais cela reste encore un champ d’investigation énorme. » Jeff Neve abonde dans le même sens: « L’esprit de cette musique est tellement intense qu’on peut facilement s’y brûler les doigts. Je n’aime pas mettre les gens sur un piédestal, et les traiter comme des dieux. Mais ce gars, cet être humain, était une telle déclaration d’intention en soi, juste parce qu’il respirait de la manière dont il respirait. On peut répéter chaque note, mais ce n’est pas le sujet de sa musique. Et même en y arrivant, c’est comme déposer une pierre sur l’eau puis une autre: vous pouvez marcher dessus, mais ce n’est pas pour cela que vous arriverez à créer une chorégraphie et exprimer quelque chose. « 

Le grand saut, ce sera donc le 23 septembre prochain, sur la scène de l’AB, avant de voir le projet se jouer à Amsterdam, Paris et Londres. « J’ai envie de faire quelque chose qui nous emmène dans des endroits intéressants et pas forcément évidents, y compris pour nous-mêmes, conclut James . Je ne veux pas effrayer les gens, ou les impressionner. Je veux juste montrer honnêtement où on en est, en tant qu’artistes, et ce qu’on ressent pour Coltrane et son £uvre. »

Facing East: The Music of John Coltrane by José James & Jeff Neve, le 23/09, à l’Ancienne Belgique, Bruxelles. www.abconcerts.be

Rencontre Laurent Hoebrechts

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