À L’INSTAR DU REGRETTÉ JAMES GANDOLFINI, LE QUINQUA BRYAN CRANSTON A TROUVÉ LE RÔLE D’UNE VIE AVEC BREAKING BAD. LANÇANT ENFIN UNE CARRIÈRE QUI SE TRAÎNAIT UN PEU.

« Du lait, du sucre? » A l’autre bout de la cafetière, il y a l’impitoyable Heisenberg. Un brillant cuistot dont la spécialité, à l’écran, se nomme « Blue Meth », une variété quasi pure de métamphétamine. Heisenberg, c’est Walter White. Walter White, c’est Bryan Cranston. Et Bryan Cranston, c’est l’amène quinqua qui sert le café à la tablée de journalistes présents ce matin-là, dans un hôtel cossu de Soho, à Londres.

Acteur de seconde zone, quasi nobody de la télé américaine à peine remarqué dans la série Malcolm, Bryan Cranston a enfin décollé grâce à Breaking Bad. Une série phénomène, à classer parmi les meilleures productions télévisées de la dernière décennie. Une série à part aussi, parce qu’elle a pris le pari de transformer, suite à la découverte de son cancer, un petit prof de chimie assez neutre en redoutable caïd sans pitié. Souvent galvaudée, l’expression anti-héros prend tout son sens dans Breaking Bad: plus les saisons passent, moins Walter White nous paraît sympathique. Moins on lui pardonne. Moins on s’identifie à lui. Autant dire que Vince Gilligan, le créateur de la série, a le cran placé bien gros, là où il faut.

« Quand j’ai rencontré Vince Gilligan et qu’il m’a dit ce qu’il voulait faire, à savoir transformer une bonne personne en une mauvaise personne, je me suis dit que c’était historique, mais aussi que c’était du petit lait pour un acteur, raconte Bryan Cranston. Ça n’avait jamais été fait dans l’histoire de la télé. Généralement, la transformation se passe dans l’autre sens, ou elle ne se fait pas du tout. Les gens n’ont pas envie d’être déroutés.Breaking Bad a complètement bouleversé cette routine. J’avais déjà travaillé avec Vince sur un épisode de X-Files. Quand il a voulu me voir pour interpréter Walter White, j’ai accouru, désespérément, parce que je savais que d’autres acteurs seraient à l’affût pour le faire. Et qu’ils tenteraient tout pour décrocher ce rôle. »

Un rôle qui n’ira qu’en se complexifiant au fil des saisons: l’évolution familiale de Walter White et la montée en puissance de son impitoyable double, Heisenberg, ont permis à Bryan Cranston d’explorer une palette d’émotions aussi large qu’inhabituelle. Adoubé par la critique, véritable aspirateur à prix (notamment trois Emmy Awards), le comédien a de fait réussi à traduire la mutation de son personnage avec une finesse et une intensité peu communes.

Le 29 septembre prochain, AMC mettra un point final à Breaking Bad. La deuxième partie de la cinquième saison s’achèvera, laissant probablement un paquet de fans sur le carreau. Au moment de nous accorder ces mots, Cranston ignorait encore comment la série tirerait le rideau. « Breaking Bad aurait fait un très mauvais film. Notamment parce que j’aurais dû moduler ma performance en fonction du début, du milieu et de la fin. Mais ici, il n’y avait pas de fin définie. Comme nos vies en fait. Je ne sais pas comment je me comporterai dans dix ans. Je ne sais pas comment je me sentirai. Donc tout se passe ici et maintenant. Et c’est précisément pour cela que je n’ai jamais demandé à Vince Gilligan comment il ferait évoluer l’intrigue. Je n’ai toujours su ce qui allait se tramer que quatre ou cinq jours avant le tournage des épisodes. Je n’ai d’ailleurs aucune idée de la manière dont va se finir Breaking Bad. Je n’en parle pas à Vince et il ne m’en parle pas non plus. » On imagine qu’entre temps, Bryan Cranston aura été mis au parfum. Et qu’il mettra du temps à s’en remettre. On lui demande quand même comment il accueillerait un showrunner, scénario sous le bras. Avec, au hasard, un super projet qui durerait cinq ans… « C’est ce que tous les showrunners disent! Maintenant, je vais prendre un break au niveau des séries télévisées. J’ai besoin d’exorciser Walter White, le sortir de ma psyché. Et j’ai besoin de prendre du recul, de faire du théâtre. Historiquement, les acteurs sont des vagabonds, ils vont là où se trouve le travail. Je veux développer des choses comme producteur, d’autres comme scénaristes. J’aimerais diriger un film que j’ai écrit, dans lequel je ne jouerais pas. J’ai simplement envie d’explorer les facettes de la narration. Jouer, diriger, produire, écrire: go with the flow. » Bon vent alors, Walter.

RENCONTRE Guy Verstraeten, À Londres

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