LE PSYCHÉDÉLIQUE JACCO GARDNER INVITE DANS SES RÊVES ET SON INCONSCIENT AVEC UN ALBUM, HYPNOPHOBIA, À LA SPLENDEUR NOCTURNE.

Dans le langage médical et psychiatrique, l’hypnophobie désigne simplement derrière ses airs un peu savants la peur de s’endormir. Jacco Gardner a beau avoir réquisitionné le terme au moment de donner un titre à son deuxième album, il redoute moins de tomber dans les bras de Morphée que de ne pas les trouver. Le petit génie du psychédélisme batave a toujours entretenu un intérêt curieux pour les rêves et leur science. « Je ne souffre pas d’hypnophobie. Elle me fascine. Elle m’inspire, raconte-t-il dans un divan du Bravo, bar cantine bruxellois au décor industriel. J’ai découvert ce terme au lendemain d’une expérience dans l’entre deux mondes. Quand je suis arrivé dans cet état où j’étais trop conscient pour m’endormir mais pas assez pour bouger les mains. Allongé dans ma chambre avec les yeux qui fonctionnaient encore, j’ai eu le sentiment d’avoir quitté la réalité. Ce fut une expérience à la fois effrayante et très intéressante. En me levant, cherchant à comprendre ce qui m’était arrivé, le mot hypnophobie a attiré mon attention. Ce terme me semblait parfaitement connecté à qui je suis et à ce que je fais. »

Puis aussi à ce que sa musique peut évoquer. Hypnophobia s’inscrit dans la continuité du merveilleux, baroque et onirique Cabinet of Curiosities qui l’a révélé. Gardner lui a donné naissance pratiquement seul. « La création d’un album est un processus pour moi éminemment personnel. Tout mon travail de studio est centré sur un monde rêvé, sur l’inconscient. J’y suis obligé pour le live parce que je ne peux pas encore me dupliquer mais il eût été bizarre, non, d’inviter des gens qui auraient eu leur propre rôle à jouer dans mes rêves? »

Jacco sourit. Malicieux. Il semble autant aimer les questions que les réponses. Se demande si nos rêves sont stockés dans un coin de notre cerveau. Pourquoi on les oublie. Comment tant de gens peuvent considérer comme stupide une activité à laquelle ils passent tant de temps… « Je ne sais pas encore réellement grand-chose de cet état à la lisière du sommeil. J’ai juste eu l’occasion de m’y frotter assez pour donner vie à cet album. Il est difficile à décrire avec des mots. Tu ne peux utiliser que des paroles métaphoriques pour le pénétrer. D’où ce disque plus instrumental. Une espèce de recherche que je mène sur ma propre psyché. »

He owns the night

Selon Jacco Gardner, le caractère rêveur de sa musique doit être lié à son manque de sommeil. Cinq à six heures en général par nuit. « Parce que je ne dors et ne rêve sans doute pas assez, je dois trouver un moyen d’exprimer ces choses qui sinon resteraient coincées en moi. Une part de mon inconscient devient réelle grâce à la musique. Et par la même occasion devient la réalité des autres. »

Certains albums l’aident parfois à s’endormir. The Expanding Universe de Laurie Spiegel. Ceux d’Emerald Web, un duo synth wave des années 70 et 80… Ou encore le travail de Carl Orff qui a pas mal expérimenté avec des enfants. « Comme sorti d’un Harry Potter lo-fi sixties. J’ai dressé des playlists sur Spotify où je rassemble tous ces morceaux qui peuvent m’aider à pieuter. Elles ont toutes des humeurs différentes. L’une d’entre elles ne rassemble que des pistes effrayantes. »

Le multi-instrumentiste a enregistré Hypnophobia là où il avait fabriqué son Cabinet de curiosités. Ce bâtiment familial érigé dans un zoning, il y vit même désormais. Gardner y a construit un deuxième studio où bosse son ami américain Frank Maston. Installé son salon et ramené sa collection de disques. « C’est illégal d’y habiter mais je m’en fous. Tout le monde se barre le soir et la nuit est à moi. C’est un peu lugubre mais c’est mon terrain de jeu, mon territoire. Personne ne sait ce que j’y fais. Ni même que je suis là. Il y a quelques caméras de sécurité dans le coin. Ils doivent se demander qui est ce type qui se promène sur un zoning à trois heures du matin. Ils pensent peut-être que je suis un fantôme.  »

L’espace lui permet aussi de stocker ses instruments glanés aux quatre coins de la planète. Hypnophobia a été créé sur un piano électrique Wurlitzer dégoté à Glasgow. « Je l’ai acheté sur eBay à un musicien qui répétait au même endroit que Franz Ferdinand. » Puis aussi à l’aide d’un Optigan, instrument à clavier, petit frère du mellotron, apparu en Californie en 1971. « Il a d’abord été fabriqué par une filiale de Mattel. Oui la marque qui commercialise les Barbies. C’est un instrument jouet mais avec tellement de personnalité qu’il en devient particulièrement intéressant. Il a un son sinistre. Et comme le mien n’est pas stable, il n’en semble que plus étrange. »

L’artwork de son bébé est l’oeuvre de Julian House. Graphic designer à qui l’on doit des pochettes pour Broadcast, Stereolab et Primal Scream, House est aussi un électronicien expérimental adepte du collage psychédélique (The Focus Group). « Sa musique sonne comme des fragments de tout ce que j’aime. Son disque avec Broadcast fut une grande source d’inspiration pour Hypnophobia.Et toute l’esthétique de son label Ghost Box Music, celui de Belbury Poly notamment, me plaît. Expérimental, assez proche de l’illustration sonore. »

Un univers qui passionne littéralement Gardner. « Aujourd’hui, tellement d’informations sont constamment bombardées. Tous ces moments que tu prenais jadis pour rêver, t’évader, tu les passes désormais à regarder ton téléphone portable. A te soucier de savoir si celui à qui tu as envoyé un message l’a lu et pourquoi il ne t’a pas répondu. Une bonne partie de la musique psychédélique d’aujourd’hui est notamment une réaction à ce manque de temps laissé à notre imagination. »

HYPNOPHOBIA, DISTRIBUÉ PAR EXCELSIOR/V2.

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LE 06/05 AU GRAND MIX (TOURCOING) ET LE 10/05 AU BOTANIQUE.

RENCONTRE Julien Broquet

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