LE RÉALISATEUR DE LOCKE STEVEN KNIGHT A TOURNÉ EN UNE SEMAINE À PEINE SON « ROAD MOVIE » LITTÉRAL ET PASSIONNANT.

On a quelque mal à imaginer qu’un seul et même scénariste ait pu écrire l’intense Eastern Promise pour David Cronenberg et le pénible The Hundred-Foot Journey pour Lasse Hallström! Steven Knight a pourtant scénarisé ces deux films si dissemblables. Et il surprend plus encore en signant complètement (script et réalisation), à 54 ans et pour ce qui est son deuxième long métrage seulement, un des films les plus remarquables de l’année. Steven Knight est donc l’homme derrière Locke. Un palace ostendais, autrefois magnifié par Harry Kümel dans son fascinant film de vampires Les Lèvres rouges (1971), offre son cadre élégant à notre entretien. « Je filmerais bien ici, un jour« , commente le cinéaste anglais en contemplant la plage et la mer au travers d’une grande baie vitrée. Les lieux sont une source d’inspiration constante pour Knight, dont le nouveau film réussit le tour de force de situer la totalité de son action dans une voiture…

« J’avais tout juste fini le tournage de mon premier film, plus conventionnel (Hummingbird avec Jason Statham, ndlr), où nous avions passé pas mal de temps à filmer l’environnement urbain à partir d’un véhicule, raconte le réalisateur. C’est en voyant ces images sur grand écran que j’ai réalisé à quel point elles étaient superbes, et combien il pourrait être intéressant d’y ajouter un acteur« , poursuit Knight dont l’idée se cristallisa quand il imagina « la structure d’un voyage fait par un homme qui au départ a tout et qui se retrouve avec rien à la fin du trajet… » S’il a choisi la route menant de Birmingham à Londres, c’est d’une part parce qu’il la connaît bien, et aussi « parce que son décor, très moche le jour, prend une étonnante et singulière beauté une fois venue la nuit« .

Au huis clos dans une automobile, Locke ajoute « l’omniprésence du GSM, du kit main libre, qui nous rend désormais en permanence disponible à tout aspect de notre vie, tant privée que professionnelle. »

Un dilemme philosophique

Trois caméras embarquées, couvrant tout l’espace du véhicule, constituent le dispositif de tournage mis au point par Steven Knight. « Nous avons tourné l’action intégrale du film à 16 reprises. Et dans la salle de montage, les choix n’ont pas été de nature esthétique mais totalement basés sur la performance du comédien« , explique-t-il. Et quelle performance ! Le cinéaste n’imaginait pas son film sans Tom Hardy. « Je lui ai proposé le rôle en octobre et nous avons tourné en février, cela fut très rapide« , explique un Knight auquel Hardy offrit le premier créneau dans un emploi du temps chargé: deux semaines à peine, dont la première fut consacrée à des répétitions (« cruciales, surtout pour le travail avec les comédiens dont on n’entend que la voix, via le téléphone« ) et la seconde à un tournage ultra court « mais préparé avec une précision extrême« . « Tom est un acteur extraordinaire, commente le réalisateur, à la fois subtil et puissant. Même quand il y a des partenaires autour de lui, c’est lui qu’on regarde ! Tom a tout à la fois une énorme énergie et la capacité de la contrôler. Il fallait quelqu’un de sa carrure, physique et émotionnelle, pour occuper seul l’écran, être l’unique personnage. Un homme ordinaire, un homme du peuple, avec le potentiel d’un héros…  »

Ivan Locke est ainsi nommé en référence au philosophe John Locke (1632-1704), « qui voulait lui aussi opposer au chaos de la réalité la primauté d’une raison permettant de mettre de l’ordre dans ce chaos« . « Dans sa voiture, et tout en roulant vers sa destination, Ivan tente d’imposer la rationalité, tandis que son monde s’écroule. Il essaie de faire avec sa vie ce qu’il fait si bien dans son travail de constructeur: donner une forme solide à la masse débordante qu’est le béton qu’on coule… » Steven Knight est fasciné par cet homme qui choisit de faire « ce qui est bien« , même au risque de perdre tout ce qu’il a. Pour autant, il laisse largement ouverte la question de savoir si l’intransigeance d’Ivan, « motivée par son voeu de ne pas reproduire les défauts de son père« , son choix « d’assumer les conséquences de son unique faiblesse en causant un mal supérieur à ses proches« , peuvent trouver leur justification. Au bout du trajet, quand le moteur s’éteint, l’interrogation demeure…

TEXTE Louis Danvers

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