Elle a la (jolie) frimousse, l’attitude et le costume de super-hérosqu’il faut: faites de la place pour Ebony Bones, jeune sensation anglaise électro-punk-funk enfin disponible en CD.
Boule afro foisonnante, jupe bouffante à la Maya l’abeille, colliers arc-en-ciel qui lui donnent des airs de femme-girafe… Ebony Bones a un gros avantage: avec tout son attirail multicolore et ses froufrous fluos, impossible de passer à côté. Pratique, notamment quand on la traque dans les allées du festival Primavera, à Barcelone. C’était au printemps dernier. A l’époque, Bone of my Bones, son premier album, n’était pas encore sorti. Mais peu importe: la Londonienne n’a pas attendu ce détail pour éveiller la curiosité. Coincée dans une loge backstage réduite à l’essentiel – 3 chaises, un frigobox à sodas -, elle rigole: « Plus besoin d’avoir un album aujourd’hui. Cela fait 2 ans que je tourne un peu partout sans avoir sorti le moindre disque. Cela va être le cas pour de plus en plus d’artistes. Un logiciel comme Spotify (NdlR: gigantesque bibliothèque musicale consultable en streaming instantané) va encore un peu plus accélérer les choses. Les gens n’auront plus besoin d’acheter la musique, ils confectionneront leur propre playlist et se baladeront avec. Bien sûr, certains continueront à vouloir posséder les morceaux, mais la majorité s’en passera. A fortiori, les concerts seront les seuls moyens pour les artistes de vivre de leur musique. »
De Shakespeare au punk
La miss Bones est née Thomas, Ebony de son prénom – « Mes parents l’ont choisi en référence au morceau Ebony & Ivory , le duo entre Stevie Wonder et Paul Mc Cartney, qui cartonnait dans les hit-parades quand je suis née. Un truc vraiment horrible. En même temps, cela aurait pu être pire: quelques semaines plus tard, c’était le duo italien Renee et Renato qui était n°1… » Depuis 2 ans, le nom de la donzelle circule, notamment à la faveur d’une page MySpace en bonne et due forme, mais aussi de concerts remuants, hautement festifs. A l’inverse du « format voix » black classique, la demoiselle y passe plus son temps à haranguer qu’à vocaliser, accompagnée d’une bande de joyeux drilles, tout aussi extravagants qu’elle.
Au final, la musique d’Ebony Bones est aussi colorée que ses tenues scéniques, entre punk-funk et électro montée sur ressort. Question de généalogie peut-être? Ses parents, d’origine jamaïcaine, travaillent dans la mode du côté maternel, dans un magasin de disques du côté paternel. « La musique a toujours été là. Je m’y suis souvent réfugié, en même temps qu’elle m’a isolée. Quand mes copines étaient fans des New Kids On The Block, j’écoutais Can ou Liquid Liquid… »
Pourtant, c’est la comédie qui la prend d’abord dans ses filets. A 12 ans, elle est repérée pour jouer dans Macbeth au Shakespeare’s Globe Theatre. Quelques temps plus tard, elle se retrouve embarquée dans un soap, Family Affairs, dans lequel elle joue le rôle de Yasmine, ado capricieuse, voire un poil rebelle. « J’ai l’impression qu’inconsciemment, je cherchais à donner une image de la communauté noire. Londres est une ville multiculturelle, et on a parfois l’impression que ce mélange ne se reflète pas dans le petit écran. Donc je crois que dans un coin de ma tête, je voulais un peu corriger le tir… J’ai fait ça pendant 8 ans. Mais en grandissant j’ai commencé à me sentir à l’étroit, je m’emmerdais… »
La voilà qui se plonge alors dans la musique, en bidouillant un maximum seule dans sa chambre. Le but? Notamment résoudre l’éternelle équation, celle qui consiste à arriver à faire bouger et réfléchir en même temps. « Comment réaliser une musique sur laquelle danser, qui paraît légère, mais qui n’est pas pour autant creuse et qui essaie de dire des choses? Que certains le captent, et d’autres non, peu importe. Tout le monde ne peut pas faire du Lady Gaga. » On lui fait remarquer qu’avec son déguisement délirant, elle fait quand même tout pour divertir l’attention. « C’est vrai, comme le font les médias ou la pub… »
Repérée par la presse branchée, Ebony Bones a rapidement reçu les premières propositions de maisons de disque. Qu’elle enverra pour la plupart à la poubelle. « On voulait me faire travailler avec tel ou tel producteur. Rien qui ne me correspondait. » Du coup, la miss produira son disque toute seule ou presque.
Un sacré os
Aujourd’hui, elle est volontiers présentée comme une Beyonce post-punk, ou une Neneh Cherry 2.0. Elle-même s’est longtemps désignée sur sa page MySpace comme une sorte de « Harry Potter avec un vagin ». Elle y détaille également ses lectures -, comme… L’Art de la guerre de Sun Zi, premier traité de stratégie militaire connu -, appelant à « se lever et à l’ouvrir bien grande »… Derrière les couleurs arc-en-ciel flashy, se cacherait donc une colère noire?… L’intéressée sourit: » Je ne suis pas en colère. Je suis juste frustrée ! Je ne suis pas satisfaite, et c’est ce qui dirige ma musique: les choses que je peux vivre au quotidien, que je lis dans les journaux, que je vois à la télé, que j’entends à la radio, quand on me parle par exemple de la grippe mexicaine toutes les heures, avant de n’en entendre presque plus parler la semaine suivante. Je me pose des questions et je veux des réponses. Ma famille m’a toujours poussée à interroger les choses que je ne comprenais pas… » Cela donne des titres comme In GOD We Trust (Gold, Oil & Drugs), W.A.R.R.I.O.R. ou encore We Know All About You, sur les penchants sécuritaires en Grande-Bretagne. « J’ai cette théorie que toute la musique naze qui passe la plupart du temps à la radio agit comme une sorte de gaz soporifique qui passerait sous les portes (rires). La musique peut servir à se vider la tête, à oublier toutes les merdes. On est bien d’accord. Mais il devrait également y avoir de la place pour autre chose. Pour une musique qui puisse servir de bande son de l’époque, qui puisse la refléter, comme ont pu le faire celles de Bob Dylan, Patti Smith, Parliament… C’est tout de même ironique de constater que l’époque n’a peut-être jamais été aussi politique, et pourtant pas grand monde n’en parle… »
Ebony Bones, Bone of my Bones (), Pias. En concert au Pukkelpop, le 21/08.
Rencontre Laurent Hoebrechts, à Barcelone
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