À CHARLEROI, LE BPS 22 PROPOSE UNE LARGE EXPOSITION SUR L’IDENTITÉ VISUELLE DU PUNK EN EUROPE. FORCÉMENT DÉCOIFFANT.

La fureur à l’état pur. Une dernière véritable explosion rock, avant de voir le genre rentrer dans le rang ou botter en touche (vers l’électronique, le hip hop, les citations et la postmodernité en général). En 1977, le punk rue dans les brancards. Ça crache,ça éructe, ça fait scandale. Dix ans avant, le Sgt Pepper des Beatles autorisait le rock et la pop à de nouvelles ambitions. Les Sex Pistols balancent tout à la poubelle. Retour au cri primal, le geste musical, violent, basique, suffisant à créer de la matière.

Depuis, le genre refait régulièrement surface, sous une forme ou une autre. Trente ans plus tard, il est surtout devenu une esthétique en soi, un corpus de références conséquent. Pas seulement musicales, mais aussi visuelles. C’est cette partie de l’iceberg que propose de mettre en perspective le BPS 22, l’espace de création contemporaine de Charleroi. Et il y a de la matière… Aussi spontané et anar’ qu’ait pu paraître le mouvement, il n’a jamais cessé de soigner aussi son image. Après tout, on peut toujours rappeler que les Sex Pistols sont nés dans une boutique de fringues de King’s Road. L’enseigne en question, baptisée Sex, était alors tenue par Vivienne Westwood et Malcolm Mc Laren. Ce dernier venait de passer un moment à New York pour s’occuper des New York Dolls. En rentrant à Londres, il a l’idée de monter un groupe punk, qui tiendrait autant du coup marketing que de l’action situationniste. Quand John Lydon passe par là, il est d’abord choisi sur base de son faciès angoissant et de son look destroy -il porte un t-shirt I hate Pink Floyd, troué d’épinges à nourrices. L’anarchie donc, mais avec le look.

Un autre moment fondateur de la furie Sex Pistols est tout aussi intrinsèquement lié à l’image. En 76, les jeunes morveux connaissent en effet déjà parfaitement le pouvoir de la télé. Ils sont même peut-être la première génération à maîtriser à ce point l’outil. Sur le plateau de Bill Grundy, le groupe jure, fume, et crée forcément le scandale…

Images saintes

Au BPS 22, ce sont encore les Sex Pistols qui ouvrent le feu, avec le travail de Jamie Reid, décliné sous forme de pochettes, sérigraphies, flyers photocopiés à l’arrache, croquis (celui de la pochette de Pretty Vacant). La suite du parcours élargit le spectre. L’exposition s’intitulant Europunk, les pièces présentées ne se braquent d’ailleurs pas seulement sur la branche anglaise du mouvement, mais proviennent de France, Belgique, Pays-Bas… Des vinyles, des fanzines, des illustrations à travers lesquels apparaissent des traits communs: la provoc’, le sexe, la régression, ou encore les aspirations anar’ et l’esthétique Do It Yourself. « Graphiquement, il y a des pièces sensationnelles, explique Pierre-Olivier Rollin, conservateur-commissaire du BPS 22. On est dans quelque chose de très brut, sauvage, une ère pré-Photoshop; et en même temps très travaillé, avec des détournements d’image, des collages… «  Un espace est aussi spécialement consacré à Bazooka, le fameux collectif punk français d’illustrateurs, qui sévissait à l’époque jusque dans les pages du quotidien Libération (à voir un exemplaire de l’édition de Noël 1977, complètement caviardé par les zozos anar’).

L’expo rassemble ainsi quelque 500 pièces, provenant des collections d’une vingtaine de privés (Jon Savage, Annick Honoré…) « Le but est moins de donner à écouter du punk qu’à le faire voir », précise Pierre-Olivier Rollin. Aucun concert au programme donc, mais bien une installation sonore de Patrick Codenys (Front 242) et une chambre d’écoute aménagée par la Médiathèque.

A l’origine de l’initiative, on trouve le Français Eric de Chassey. Le directeur de l’Académie de France à Rome a d’ailleurs inauguré l’exposition à la Villa Médicis. Une vitrine sur le punk installée au beau milieu d’un lieu réservé d’habitude à la culture classique? Le contraste ne manque pas de piquant. Fin des années 70, le punk effrayait le bourgeois. Aujourd’hui vidé de sa substance nihiliste, il peut rentrer sans problème dans les lieux réservés habituellement à la « haute » culture. Marianne Derrien travaille à la Villa Médicis et assiste Eric de Chassey: « La question, c’est: qui institutionnalise qui? L’expo a par exemple attiré plein de jeunes Romains qui n’avaient jamais mis les pieds à la Villa Médicis. « 

La démarche n’en demeure pas moins cocasse. Comment muséifier un genre, une posture artistique qui crachait à toute forme d’establishment, faisant du No Future son principal slogan? Il y a ainsi une jolie ironie à voir encadrés des flyers et autres fanzines jaunis, balancés à l’époque sauvagement, « stencilés » et photocopiés dans l’urgence. Des gestes bruts aujourd’hui sacralisés. Une anecdote: aucun document n’a pu être exposé sous la verrière centrale, craignant la lumière du jour. Pierre-Olivier Rollin: « Par nature, tous ces fanzines, flyers… n’étaient pas destinés à durer. Du coup, il y a un vrai souci de conservation. Quelque part, on a eu plus de mal avec les collectionneurs punk qu’avec les collectionneurs d’art contemporain… « 

Plus tard, Marianne Derrien sort d’une boîte le t-shirt/camisole à croix gammée et Christ en croix que portait portaitportait Johnny Rotten. Déplié ainsi délicatement, la pièce a des airs de Saint-Suaire. Une relique, « exactement comme dans la tradition chrétienne », sourit Pierre-Olivier Rollin. Punk’s not dead? A voir…

EUROPUNK, LA CULTURE VISUELLE PUNK EN EUROPE, 1976-1980. AU BPS 22, BOULEVARD SOLVAY, CHARLEROI. DU 22/10 AU 22/01/2012. INFOS: HTTP://BPS22.HAINAUT.BE

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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