De Max Cabanes et Doug Headline, d’après Jean-Patrick Manchette, Éditions Dupuis.
Jean-Patrick Manchette ( Nada, La Position du tireur couché…) a sorti le polar français de la naphtaline en lui jetant à la figure un seau d’eau glacée puisée dans la réalité sociale et politique des années 70 et 80. Chacun de ses romans ou films (on lui doit une paire de scénarios, dont ceux de L’Agression ou de Légitime violence) est comme une biopsie sans anesthésie des organes malades (guerre d’Algérie, société de consommation…) de l’époque. Ce mano a mano avec le réel et le fond de sauce gauchiste du romancier ne pouvaient que mettre en appétit cet éternel anarchiste qu’est Jacques Tardi, qui s’empara en 2005 du chef-d’£uvre de Manchette, Le Petit Bleu de la côte ouest, pour le passer à la moulinette de son dessin crépusculaire. Se mesurer dans la foulée au maître du polar et au virtuose du crayon, il fallait oser (la comparaison). Max Cabanes a eu ce culot. Pour mettre toutes les chances de son côté dans cette entreprise casse-gueule, l’auteur de Bains d’encre s’est assuré la complicité de Doug Headline, qui peut se vanter de connaître Manchette comme personne. Et pour cause, c’est son fils… Il fallait bien cet héritage pour combler les trous d’un roman laissé inachevé à la disparition de l’écrivain, en 1995.
Casting solide
Le résultat est plutôt convaincant. Même si l’album ressemble très peu à du… Manchette. Avec ses intrigues croisées, ses accents internationaux, ses coups fourrés entre services secrets, La Princesse de sang se rapproche plus du souffle épique d’un John Le Carré que de l’univers décharné d’un Manchette pur jus. Haute trahison? Non. En s’attaquant à cette princesse, premier volet d’un nouveau cycle, le patron du néo-polar avait l’intention de se frotter au thriller planétaire et d’ouvrir les fenêtres de son écriture. Des « débuts » prometteurs… Le scénario, sec comme un coup de trique, est de ceux qui vous prennent à la gorge. Dès les premières planches, altercation musclée et tarantinesque entre des barbouzes d’un même clan, le décor et l’atmosphère sont plantés. De là, les fils d’une intrigue à tiroir s’entrelacent autour de personnages complexes, taillés dans le tissu politique des années 50: un agent anglais homo coincé entre sa conscience et ses sentiments, une belle photographe un peu larguée qui se retrouve malgré elle au c£ur d’une vaste chasse à l’homme, un dur à cuire taiseux veillant jalousement sur une jeune fille un peu sauvage, qui pourrait bien être la fugitive convoitée par un marchand d’armes. Si le trait de Cabanes ne racle pas les âmes comme celui de Tardi, il ne fait pas non plus d’ombre à un récit dense et palpitant qui se suffit à lui-même. Au contraire, les couleurs soignées donnent un reflet ambré à cette course-poursuite qui se boit d’une traite. Comme un whisky pur malt.
Laurent Raphaël
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