Voir Un prophète, c’est aussi assister à la naissance d’un acteur, phénoménal. Sous les traits de Malik El Djebena, Tahar Rahim a littéralement crevé l’écran cannois, imposant à la fois présence et charisme. D’autres auraient sans doute été éblouis par tant de soudaine notoriété, le jeune acteur, rencontré alors, accueillait pour sa part sa renommée toute neuve avec amusement et modestie – pas du genre à s’y brûler les ailes, de toute évidence. Non sans énoncer, sans se faire prier, les lignes de force d’un CV en cours d’écriture: « Je viens de Belfort, dans l’Est de la France, et je suis fasciné par le cinéma depuis longtemps. J’ai fait une licence de cinéma à Montpellier, avant de participer àTahar l’étudiant , un documentaire fiction de Cyril Mennegun. Je le connaissais depuis 14 ou 15 ans, nous venons de la même ville, il a été pour moi une sorte de mentor, et nous avions le fantasme de réaliser une fiction ensemble. Il a fait son chemin dans le documentaire et, du coup, c’est devenu une sorte d’£uvre hybride… »
La suite, ce sera un aller pour Paris où il intègre un cours de théâtre, avant de tenir un rôle dans la série La Commune. Les choses s’emballent alors: « Tahar, je l’ai rencontré par hasard, se souvient Jacques Audiard. Un ami tournait dans une série dans laquelle il avait aussi un petit rôle. On est revenus ensemble sur Paris, et voilà… » Petite cause, grands effets: l’acteur obtient le rôle-titre de Un prophète, le film que prépare le réalisateur, désireux de travailler avec des inconnus, comme il devait s’en expliquer ensuite: « Le projet du film était de décloisonner autant le casting que de prendre en compte le fait que le monde change et que les figures héroïques doivent évoluer. A mon sens, il y a de nouvelles mythologies à bâtir sur de nouveaux visages et de nouveaux parcours. »
L’heure de vérité
A propos de mythologie, Tahar Rahim s’est notamment nourri de films de gangsters pour préparer le rôle: « J’aime beaucoup ce que faisait un James Cagney. Et puis, plus près de nous, des gens comme Francis Ford Coppola ou Scorsese, qui ont magnifiquement pris le relais, et ont fait des chefs-d’£uvre sur un type de mafia qui fait rêver. Mais il y a mafia et mafia, et j’ai aussi vu d’autres types de films, de Gomorra au cinéma asiatique, en passant par Pixote du Brésilien Hector Babenco. » Au bout du compte, et la performance n’est pas mince, l’acteur donne vérité et chair à un type inédit de figure criminelle – de quoi frapper les esprits et voir, sans doute, se multiplier les propositions. « Si c’est le cas, tant mieux. Faire ce métier et partager tout cela, rencontrer des gens comme j’ai pu en rencontrer à travers cette expérience est tellement exceptionnel. Si ça pouvait toujours se passer comme cela, je m’en contenterais, même si le film ne devait pas sortir. Pour moi, ça, c’est vraiment l’essence du cinéma. En tout cas, de l’art que l’on s’efforce de faire exister. »
J.F. PL.
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