Avec le décès de Donald Westlake s’éteint la deuxième génération des géants du polar, mais une nouvelle vague pointe le bout du scalpel. Rencontre avec François Guérif, écrivain et éditeur de Rivages/noir, qui l’a publié 25 ans durant.
Donald Westlake nous a quittés, le soir du réveillon, à Mexico. Auteur de plus de 90 polars en 50 ans (il a écrit sous divers pseudos – Richard Stark, Tucker Coe, Samuel Holt, Edwin West, Curt Clark, Thimothy J. Culver) dont certains ont été adaptés au cinéma. Son éditeur en France, François Guérif (Rivages/noir) est un homme d’une culture et d’une gentillesse rares. Il a connu Westlake il y a près de 28 ans, lors d’un festival à Reims et le publie depuis 25 ans.
Focus: quel genre d’homme était-il pour vous?
François Guérif: c’était vraiment un ami. Il ressemblait à ses livres, notamment à Dortmunder (un de ses personnages, cambrioleur qui avait le chic pour se fourrer dans des guêpiers). Il avait le sens de la répartie. C’était quelqu’un d’extrêmement chaleureux et protecteur. Grâce à lui, j’ai eu l’Ellery Queen Award (prix décerné par les Mystery Writers of America récompensant une personne ayant particulièrement £uvré pour la littérature policière). C’était la première fois qu’un Français l’obtenait. J’ai plein de souvenirs avec lui. C’était un homme merveilleux et un grand écrivain. Il était généreux, cordial et drôle. Une merveille! Comme Chabrol.
On dit qu’il employait divers pseudos parce qu’on lui reprochait d’écrire plus vite que son ombre. Qu’en pensez-vous?
C’est faux, il avait en lui une fécondité extraordinaire. C’est parce que son éditeur américain ne pouvait pas tout publier de lui qu’il a pris des pseudos. Simenon écrivait quatre Maigret par an et personne ne le lui reprochait. Pour moi, la productivité ne serait néfaste qu’à partir du moment où l’écriture serait bâclée. Ce qui n’a jamais été le cas de Westlake. Son imagination n’a jamais été en berne.
Sa mort vous paraît-elle comme un dernier clin d’£il humoristique?
Tout à fait. Franchement, un mec qui va faire la bombe au Mexique et meurt d’une crise cardiaque, ça aurait pu arriver à Dortmunder. C’est une belle mort qui lui correspond. La seule chose triste, c’est qu’il avait une femme qu’il adorait et qui était son inspiratrice.
Il utilisait l’humour comme moyen de faire naître l’émotion et la peur. Selon vous, quelle vague d’auteurs ont marqué cette génération?
Ed McBain, avec qui il était très ami. Crumley, Michael Collins… Disons qu’il y a une génération avec Chandler, Hammett et William Irish, qui ont créé le genre. Après, il y a ceux de la deuxième génération comme Westlake qui disait que ses premiers livres appartenaient plus au genre policier qu’à lui-même. C’est en écrivant Le pigeon récalcitrant qu’il s’est aperçu que l’humour, loin de désamorcer la peur, pouvait au contraire la faire naître.
Est-ce une génération qui disparaît ou y a-t-il une relève aujourd’hui?
Une génération s’est éteinte avec Westlake, mais il y a une nouvelle veine dont le représentant le plus flamboyant est Ellroy. Daniel Woodrell, James Lee Burke, Crumley, Chuck Pahlaniuk (l’auteur de Fight Club) aussi. Nous en sommes même déjà à la génération post-Ellroy avec Ken Bruen, Tim Dorsey, Jim Nisbet…
Quinze des romans de Westlake ont été adaptés au cinéma, dont The Hot rock avec Robert Redford, Payback avec Mel Gibson et en France, le très beau film Le Couperet de Costa-Gavras avec José Garcia, Karin Viard et Geordy Monfils (un Belge!). Quel était son regard d’écrivain sur l’adaptation de ses £uvres?
Il était double. Il estimait qu’une fois les droits de son livre achetés, il ne lui appartenait plus. Certaines adaptations furent médiocres, comme The bank job, Un plan d’enfer avec Christophe Lambert – catastrophique dans le rôle de Dortmunder – et Au pire qu’est-ce qu’on risque? avec Martin Lawrence. Mais contrairement à certains, il était très concerné par ses adaptations et ça l’ennuyait quand c’était nul. Il était content des films faits en France: Mise à sac d’Alain Cavalier, Ordo de Laurence Ferreira-Barbosa et surtout Le Couperet dans lequel il apparaît d’ailleurs. Il aimait aussi beaucoup Les quatre malfrats avec Robert Redford et Le point de non retour de John Boorman avec Lee Marvin. Il estimait que Marvin avait apporté sa folie à celle de Parker. Westlake a été scénariste et a écrit un thriller formidable – The Stepfather – et il a adapté Les arnaqueurs de Stephen Frears (d’après Jim Thompson).
Parlez-moi de quelques polars coups de c£ur aujourd’hui.
Parmi ceux que j’ai publiés, j’ai adoré Voleurs d’encre d’Alfonso Mateo-Sagasta, qui tourne autour de Don Quichotte de Cervantès. Je vais éditer son second roman. Le cabinetdes merveilles. Le Résurrectionniste de l’Australien James Bradley (en mars prochain) aussi. Un chef-d’£uvre absolu. C’est l’histoire d’une chute et d’une rédemption. La fille de Carnegie du Français Stéphane Michaka et Dernier tramway pour les Champs-Elysées de James Lee Burke, avec son héros récurrent Dave Robicheaux, incarné au cinéma par Tommy Lee Jones dans le prochain film de Bertrand Tavernier, adapté d’un précédent roman de Burke Dans la brume électrique avec les morts confédérés.
Les prochaines parutions de Westlake chez Rivages?
Envoyez les couleurs (en février), Motus et bouche cousue (mars), Bonne conduite et quelques autres inédits.
Comme tout grand écrivain, Westlake était un grand sceptique. Sur la page d’accueil de son site, on peut lire en exergue: « Mais je peux me tromper… »
Entretien Nadine Monfils, à Paris
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