HOU HSIAO-HSIEN USE DU CINÉMA COMME D’UNE MACHINE À CRÉER DE LA RÉALITÉ. UNE DÉMARCHE OÙ LA MÉMOIRE EST UN MATÉRIAU CENTRAL.

Il a porté la Nouvelle Vague taïwanaise plus qu’il n’a été porté par elle. Et avec Edward Yang, il s’est vite imposé, une fois révélé par les grands festivals, au nombre des cinéastes majeurs de notre temps. Hou Hsiao-hsien sera dans quelques jours à Bruxelles pour y présenter son tout nouveau film, The Assassin et lancer le plus grand programme jamais consacré (par la Cinematek) au cinéma de Taïwan. A 68 ans, le natif de Meixian, dans la province chinoise de Guangdong, poursuit une oeuvre marquée par l’Histoire, la mémoire et la famille. Sa vie fut très tôt bousculée par l’émigration sur l’île rebelle, où son père avait fui durant la guerre civile, rapidement rejoint par les siens. De cette enfance marquée par l’exil et l’enracinement dans un pays nouveau, Hou a su se souvenir dans ses films. Il n’a pas oublié non plus sa découverte du cinéma: « Il y avait une salle de cinéma dans la région où nous habitions (Hsinchu, dans le Nord de l’île, ndlr) et j’allais voir tous les films qui y passaient. Il y avait beaucoup de films japonais. Beaucoup de films d’arts martiaux, que j’appréciais énormément. Mais mon premier grand choc fut un film japonais qui racontait une histoire de vengeance féminine, un film précurseur de La Mariée était en noir qu’allait réaliser François Truffaut. »

Fils d’enseignant, l’adolescent dévoreur de pellicule s’en alla étudier à la National Taiwan Academy of the Arts. « Le service militaire était obligatoire et c’est pendant ma période à l’armée que j’ai pris la décision de m’orienter vers le cinéma, se souvient Hou Hsiao-hsien. J’ai présenté une épreuve d’admission et obtenu une place dans une des trois écoles que j’avais pointées. Mais une fois obtenu mon diplôme, il n’y avait pas de travail pour moi et j’ai gagné ma vie en faisant le vendeur durant un an. Après quoi j’ai pu entrer dans l’industrie cinématographique, d’abord en écrivant deux scénarios, puis en devenant tout à la fois scénariste et assistant-réalisateur. Surtout sur des comédies. Mon premier film en tant que réalisateur, que vous allez découvrir à la rétrospective de la Cinematek, est d’ailleurs une comédie: Cute Girl(réalisé en 1980, nldr), qui a très bien marché dans les salles à Taïwan. »

Le passé au présent

La rencontre du jeune réalisateur avec Edward Yang, son exact contemporain (ils sont tous deux nés en 1947), fut très importante. « Il rentrait des Etats-Unis, où il avait fait ses études, et il m’a montré plein de films auxquels je n’avais jamais eu accès, comme ceux de la Nouvelle Vague française, du Nouveau Cinéma allemand, du Néo-réalisme italien. A bout de souffle de Godard m’a particulièrement impressionné et reste un de mes films favoris. Il m’a influencé dans mon désir de faire des films différents, le premier étant The Boys From Fengkuei(son 5e long métrage, tourné en 1983, ndlr). Très vite ensuite, j’ai commencé à faire des films inspirés de mon passé… » Ainsi naquirent les premiers sommets: A Summer At Grandpa’s et A Time To Live, A Time To Die, doubles déclencheurs d’une reconnaissance internationale aussi soudaine que spectaculaire.

D’emblée, mémoire personnelle, intime, et mémoire collective, historique, s’affichent en matériaux principaux du cinéma de Hou. « J’avais quatre mois seulement quand ma famille a quitté la Chine continentale pour Taïwan, explique le cinéaste. Et j’étais encore trop jeune quand d’importants événements historiques se sont produits, quand aussi s’est mis en place le pouvoir du Kuomintang (1), qui exerçait un contrôle sur tout et disait préparer un retour victorieux sur le continent… Mais j’ai beaucoup lu sur cette période, cela a fait naître en mon coeur une grande émotion révolutionnaire, ainsi que le désir de raconter, de me raconter. Puis, après l’avoir fait, de poursuivre avec d’autres films l’évocation de l’histoire de Taïwan. Et enfin, cela étant fait, de proposer mon regard sur la vie contemporaine avec Goodbye South Goodbye et Millenium Mambo. »

Même quand il évoque le passé, l’art de Hou Hsiao-hsien s’incarne dans ce qu’on pourrait appeler le présent absolu du cinéma. Avec une extraordinaire impression de réalité immédiate. « Mon but est toujours de faire revivre la réalité, commente le cinéaste. Et cela passe tout d’abord par les personnages. D’où mon choix de travailler en priorité avec des acteurs non-professionnels… Il s’agit de représenter dans toute sa vérité le moment que j’ai imaginé dans ma tête. Un travail de re-création, où tout doit arriver comme au présent absolu, en effet. C’est pourquoi aussi je ne donne aux acteurs que les informations de base sur la situation, le contenu de la scène. Et puis je lance un long plan séquence pour les laisser s’exprimer le plus librement possible, dans la vérité de l’instant vécu par eux devant la caméra. Au montage, je recommence à écrire le film, mais le tournage est fait de choses que je ne peux pas contrôler, que je ne veux pas contrôler… Le cinéma est un processus organique. La caméra capte des choses que je ne vois pas et que je découvre totalement en visionnant la matière avant de la monter… Je ne fais pas de documentaires au sens strict du terme, mais tous mes films sont proches du documentaire, par la méthode et par le but poursuivi. »

L’art ou l’argent

Aborder le film d’arts martiaux avec The Assassin est pour Hou comme « la concrétisation d’un rêve d’adolescent, qui aima tant de livres sur la dynastie Tang« , mais aussi la source de contraintes nouvelles. « L’action se déroule au VIIIe siècle, il n’y a que peu d’images dont s’inspirer quant à la vie quotidienne d’alors. Et au tournage, pas question d’improviser comme je le fais toujours. A cause des combats qui doivent être chorégraphiés avec précision. Que de limites, en fait! Mais je me suis attaché néanmoins à conférer le plus de naturel possible aux acteurs. Et à multiplier les détails réels, comme les milliers de tambourins se relayant pour porter des messages sonores jusqu’aux confins de l’empire…  »

Interrogé sur la situation actuelle du cinéma à Taïwan, Hou Hsiao-hsien s’avoue quelque peu désabusé. « La nouvelle génération n’aspire qu’à faire des films commerciaux, elle est obsédée par l’argent. Le marché local étant très petit, et l’industrie elle aussi limitée en taille, les jeunes réalisateurs partent tous en Chine pour y faire carrière. Il ne reste pratiquement plus que Tsai Ming-Liang et moi pour continuer dans la voie d’un cinéma avant tout artistique… »

(1) LE PLUS VIEUX PARTI CHINOIS, ET LA FORCE DOMINANTE À TAÏWAN OÙ IL S’ÉTAIT TOTALEMENT REPLIÉ APRÈS LA PRISE DE POUVOIR COMMUNISTE DE 1949 EN CHINE CONTINENTALE.

RENCONTRE Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content