La cure détox a le vent en poupe. A la veille de l’été, retrouver sa ligne ne suffit plus: il faut se nettoyer de l’intérieur. Avant, le mythe du corps parfait obéissait au règne exclusif du canon de beauté, cette image-modèle véhiculée par la mode et la publicité, qui imposait la silhouette idéale à arborer sur la plage. Désormais, à l’injonction de minceur s’est ajouté l’impératif de pureté. « Activez votre beauté naturelle et purifiez votre organisme avec les cures livrées partout en France »!,peut-on lire sur la page d’accueil d’un site spécial détox qui propose une cure « express » (trois jours) afin d' »éliminer rapidement les toxines« . Le but? »Soulager massivement l’appareil digestif » pour « renouer avec un sentiment de bien-être physique et retrouver de l’énergie au quotidien ».

La cure détox repose sur un mythe tenace: celui d’un « homme naturel » foncièrement bon que la civilisation serait venu corrompre. Au XVIIIe siècle, Rousseau invitait son lecteur à voir « comment la société déprave et pervertit les hommes » et à trouver « dans leurs préjugés la source de tous leurs vices« . En 2015, la cure détox déplace le regard de l’âme vers le corps et étend l’exigence morale au royaume de l’organisme. Dans cette chasse aux toxines, qui sont les ennemis? Stress, tabagisme et pollution, le triangle du mal de la modernité, bien sûr, mais aussi, plus spécifiquement, la « nourriture industrielle » et les « aliments transformés« , c’est-à-dire tout ce qui ne passe pas directement de la terre à la bouche. Aujourd’hui, le mal est dans l’assiette.

« Ce n’est pas une légère entreprise de démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme« , nous rappelle Rousseau. Aux grands maux, les grands remèdes. Pour mincir, nous avions le régime, désormais, ce sera la cure. A l’ascèse s’est substitué le traitement intensif qui propose de se nourrir exclusivement de jus obtenus à partir d’aliments « naturels ». Mais comment trier le bon grain de l’ivraie? A sa morale drastique correspond une méthode prescriptive, qui s’exprime dans un langage forgé de toutes pièces. Jamais peut-être une mythologie n’a si bien porté son nom: la détox ne veut rien dire, mais elle parle à tous. Si, dans le camp du mal, les ennemis sont clairement identifiés à l’aide d’un lexique pseudo-scientifique au fort potentiel anxiogène: « déchet toxique« , « substance cancérigène » et « perturbateurs endocriniens« , les aliments-remèdes, eux, combinent expertise et poésie de l’organisme. Le citron? « Vous l’apprécierez pour ses vertus curatives« . Le radis noir? « Un antioxydant puissant« . La fibre? « Un atout détox pour nettoyer les intestins« . Sans oublier les « enzymes« , personnages essentiels dans le processus de détoxification et dont la présence en nombre important est un excellent indicateur: l’ananas est ainsi un « brûle-graisse » hors pair car il est « bourré d’enzymes« -notons au passage l’introduction cocasse d’un terme (« bourré« ) qui, s’il était associé pour décrire les effets d’une substance hautement interdite dans la cure, l’alcool, se verrait immédiatement renvoyé dans le camp adverse.

« Purification » de l’organisme, « élimination » des toxines, « nettoyage » de l’intestin: et si, plus encore que par sa terminologie douteuse, la détox péchait par excès de mauvaise foi? De même que Voltaire, en proposant à Rousseau de venir « boire le lait de ses vaches » et de « brouter l’herbe » de son jardin, feint de ne pas comprendre que « l’état de nature » évoqué par son adversaire est une hypothèse de pensée utile à la réflexion philosophique et non un fait historique auquel il serait bon de revenir, les ayatollahs de la cure, en louant les vertus des jus détox et des aliments non transformés, pensent identifier le bien au naturel quand ils ne font que réduire le naturel à l’organisme. Le secret de la cure détox, -et ce qui explique son succès-, c’est de prendre la pureté au pied de la lettre, et de nous faire croire qu’un lavage d’estomac fera de nous des hommes meilleurs. Quand Rousseau, pour se purger l’âme des méfaits de la société, choisit la voie des Confessions, les professeurs de détox proposent le chemin des ablutions. « On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre Bêtes« , ricanait Voltaire. Il ne croyait pas si bien dire.

CHAQUE SEMAINE, UN PENSEUR MET À JOUR LES MYTHOLOGIES CHÈRES À ROLAND BARTHES.

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