LE PREMIER ALBUM DE LA PARISIENNE RAPHAËLE LANNADÈRE, ALIAS L, IMPOSE SES BERCEUSES AMNIOTIQUES VOGUANT ENTRE BJÖRK ET BARBARA. UNE INTIMITÉ GRACIEUSE QUI FILE VERS LE DISQUE D’OR EN FRANCE.

Parfois, les chansons ne ressemblent pas à leur auteur, mais on pourrait difficilement mettre une feuille de papier entre Raphaële et ses 11 premiers titres. Symbiose absolue entre une jeunesse physique -elle a eu 30 ans en février- et l’impression d’avoir déjà parcouru des kilomètres de planète. Sur ce premier album ( lire encadré), on trouve une douceur subtile qui tranche sur l’époque. La première impression est de tomber sur une filleule inconnue de Barbara, cette femme qui chantait le mélodrame humain comme si elle devait mourir demain. Sans épouser cette dose-là de théâtralité, L décortique les mots, les enveloppe avec soin et puis en fait une offrande, pas loin d’être barbaresque.  » J’adore Barbara, je ne me compare pas à elle, mais je l’aime infiniment, je l’ai beaucoup écoutée. Tout me touche chez elle, ses chansons, sa voix, sa diction, sa concentration quand elle chante. La fixité dans le regard qui la rend complètement émouvante, absolument sensible et en même temps distinguée. Une quintessence française en quelque sorte. » L n’a pas grandi sous exclusive hexagonale. Chez les Lannadère, on écoute les Beatles, Mozart, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Brel, de la musique brésilienne. Elle vénère aussi Rimbaud, au-delà des lieux communs romanesques:  » Parce qu’il y a chez lui une violence très primaire, extrêmement charnelle. Et quelque chose de rock’n’roll dans son écriture qui pose des questions fondamentales, de l’ordre du divin, du sacré. Il arrive d’ailleurs à rendre la laideur sacrée. C’est ça qui m’intéresse, pas sa vie « romanesque »: sa vie est triste, il s’est perdu en chemin. »

La vie de Raphaële ne l’est pas, triste, même si la plupart des morceaux traînent un reliquat de mélancolie assez loin de la célébration. Malgré les références précitées et d’autres – » Genet, Gainsbourg, Prévert, Queneau, Aragon »-, elle n’imite pas ce qu’elle a lu, vu ou entendu:  » Puisque Rimbaud, c’est carrément Dieu (sic) , je me suis demandée comment écrire et raconter autrement puisque mieux, ce n’est pas possible. Au début, j’attendais souvent la grâce et puis, à force de travail, c’est autre chose qui se met en route. Il y a dans la chanson un plaisir ludique, un métier qu’on apprend à faire. C’est presque manuel et donc moins angoissant. Ce qui est difficile, c’est de s’arrêter, parce que s’y remettre par après déclenche la panique totale. On pense qu’on ne saura plus écrire. » Parmi les morceaux, Mon frère, dont L dit que, comme d’autres moments, il est totalement autobiographique tout en étant  » habillé et romancé »:  » Mon frère, mon petit, si le ciel est superbe/Quand il est vert de gris mais que tes yeux s’y perdent/Viens vite me retrouver dans ta chambre en secret/Je saurai leur rappeler la couleur qu’ils avaient/S’ils souffrent d’amnésie, je teindrai le mur en bleu/Pour leur faire un abri/ On sera que tous les deux, mon frère. » Eloquent.

Le rimmel des exils

Le côté papier froissé des mots, exposés sur la table de l’émotion pure, n’est qu’un des aspects du disque qui vise aussi d’autres sentiments, plus vénéneux. Comme dans le superbe Château Rouge, portrait d’un quartier du XVIIIe, cosmopolite et controversé pour son flot d’immigrés clandestins ou pas, de came dure et d’errances:  » La nuit maquille au marché noir/Les filles qui sortent en robe du soir/Avec le rimmel des exils(…) La nuit a sous ses jupons bleus/Les rêves des dealers de banlieue. » Les glissements vers l’interlope ou simplement des mots directs amènent aussi un vent réaliste aux histoires d’une jeune femme ayant grandi dans la classe moyenne juive parisienne, passant ses vacances d’enfance dans les Ardennes françaises. Elle aime Paris  » pour les lumières » et l’électricité humaine de certains quartiers, comme Château Rouge justement:  » Y être une blanche, une petite babtoute, fait de toi une attraction provisoire à certaines heures du marché. Il n’y a plus beaucoup de Français de souche, les gens y sont plus pauvres mais il y a peu de clochards. On ne laisse pas les gens dehors, on s’occupe des vieux, des enfants. Il y a un truc qui circule beaucoup plus entre les générations. » Oui, il y a donc des idées chez L, pas seulement des allusions ( Petite évoque l’expulsion d’une sans-papiers). Tout cela est le fruit d’un cheminement: à 20 ans, Raphaële s’intègre à un groupe polyphonique puis suit des cours de chant chez la mère de son futur partenaire musical Babx, collaborateur de Julien Doré et Camélia Jordana. Cela la libère au-delà de ce qu’elle pensait pouvoir donner d’elle:  » J’ai compris que je pouvais avoir un larynx universel« , dit-elle. Il y a aussi l’accueil du label parisien Tôt Ou Tard, où a lieu notre rencontre. Cette compagnie indépendante, d’esprit et financièrement, amène un coup de frais dans la chanson de France depuis le mitan des 90’s (Vincent Delerm, Thomas Fersen, Yael Naïm). Pour L, cette signature-là est cruciale. Et le succès surprise de l’album, proche du disque d’or en France, 100 000 exemplaires (…), confirme que tout n’est pas stéréotypé sur le marché inégalement déclinant du CD. Parfois, la force d’une proposition sensible touche son public. La preuve en L qui donne envie, pour une fois, que la Belgique imite la France. l

u CD INITIALE CHEZ PIAS, EN CONCERT LE 28/10 AU BOTANIQUE, WWW.BOTANIQUE.BE

RENCONTRE PHILIPPE CORNET, À PARIS

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