RÉVÉLÉ VIA UN PRIX À CANNES POUR SA BO DU DERNIER JIM JARMUSCH, JOZEF VAN WISSEM, HOLLANDAIS IMMIGRÉ À NEW YORK, COMPTE BIEN NETTOYER LE FAUX MODERNISME ADDICTIF VIA SON LUTH CONTESTATAIRE.

« Oui, j’ai un téléphone portable, il m’est indispensable pour jouer d’un pays à l’autre, mais ce n’est qu’un « diable nécessaire ». » De passage à Bruxelles, JVW ne cache pas sa détestation des addictions d’époque. « La fonction du musicien est de critiquer une société contemporaine malade où l’on ne s’adresse plus qu’à des écrans. Mon disque parle de quitter les choses futiles et de retourner à ce qui semble essentiel. Les artistes devraient davantage s’opposer aux règles du monde, ce sont les derniers à pouvoir faire quelque chose. »

Le quinqua, cuir et cheveux filasses à la Katerine, glisse ses sentiments dans un album (lire la critique page 20) où il synchronise modernité et luth, instrument issu du VIe siècle. Pas celui qu’il manie, oeuvre d’un luthier contemporain qui se mérite -« jusqu’à quatre années d’attente« – et dont le ramage vaut bien le plumage. L’instru de Jozef chante d’insolites morceaux minimalo-répétitifs, s’ils n’avaient ce lyrisme retenu, hollandais peut-être. Sans dire que van Wissem est le Vermeer du 24 cordes, la National Gallery londonienne l’a par exemple commissionné pour « mettre en son » une toile fameuse d’Holbein, Les Ambassadeurs, où un luth ponctue le décor. Transversalité artistique illustrée par une vingtaine d’albums vanwissemiens enregistrés depuis 2000, dont une bonne moitié en solo.

Et trois disques conçus avec Jim Jarmusch, cinéaste indépendant à succès et -c’est moins connu- guitariste trash’n’roll réputé pour ses connexions musicales de goût (Neil Young, Tom Waits, John Lurie). « On s’est rencontrés par hasard dans une rue de Soho en 2007: je me suis présenté et il m’a demandé d’envoyer tout ce que j’avais fait à son bureau (sourire). Cela a bien cliqué entre nous mais la musique pour Only Lovers Left Alive, présenté à Cannes 2014, a été conçue indépendamment des images, comme mon travail pour le jeu The Sims Medieval. »

Comme un moine

Né en 1962 dans une famille ouvrière, Jozef grandit à Maastricht, ville des Pays-Bas contigüe à la Belgique et l’Allemagne où « les langues et cultures se mélangent en harmonie« . Il y étudie la guitare classique et intègre même le Limburg Symphony Orchestra où son doigté savant sert notamment les berceuses de Vivaldi. « En même temps, je jouais dans un groupe punk baptisé d’un nom de bière belge, nous étions en 1979. » Suit une vie de patachon noisy. En 1993, van Wissem reçoit une lettre d’invitation d’un producteur qui le convie à travailler à New York. « J’avais alors une sorte de bar rock’n’roll à Groningen que j’ai fini par vendre, j’en avais marre de mon style de vie, de la guitare électrique, de la drogue et de l’alcool. J’étais très lié à la scène squat, très politisé et quand tout cela s’est dissous, je n’avais plus vraiment de raison de rester là. Je n’avais pratiquement plus de vie privée et, grand lecteur depuis l’enfance, j’avais longtemps abandonné les livres. D’une certaine manière, ce fut une époque triste, il fallait s’en échapper. »

Jozef file donc en Amérique et s’installe à Brooklyn où il vit « comme un moine qui veut investiguer de nouveaux territoires« . Il rencontre un maître du luth, Pat O’Brien, qui lui enseigne pendant cinq années cet instrument complexe et cristallin, en version Renaissance et Baroque. « O’Brien avait été l’élève de Reverend Gary Davis, pionnier magistral du blues-gospel ayant, entre autres, influencé Dylan. Donc la lignée était prometteuse et les leçons totalement ouvertes même si très techniques. C’est Pat qui m’a dit d’écrire mes propres musiques et m’a poussé à expérimenter…  »

Odeur des rituels

« Je chante mais j’use peu de mots, utilisant le même principe que pour l’écriture de la mélodie, modeste en notes… Je pourrais jouer comme Zappa -je l’ai d’ailleurs fait- mais à quoi bon? Je crois plus intéressant d’écouter la musique de Morton Feldman pendant huit heures sur un matelas que d’absorber constamment des notes. Parce qu’alors, l’imaginaire intervient. Je pense qu’il y a trop d’informations dans le monde, y compris dans le domaine spirituel. C’est bien de refuser d’être endoctriné ou de lire constamment ses emails (sourire), de s’opposer à la domination du commerce et de l’argent. » Jozef raconte comment il est récemment parti se réfugier dans un coin perdu de Pologne, délesté de tout bagage électronique.

Parlant de la croix qu’il porte très visiblement en pochette de son nouvel album -sous un col de curé-, il botte en touche: « Je suis né catholique, mais cela ne signifie pas véritablement quelque chose pour moi, même si j’aime l’iconographie de cette religion, les couleurs et odeurs des rituels. Il s’agit d’une image qui appelle plutôt au retour de Dieu -quel qu’il soit- dans un monde complètement naze. C’est un appel à délaisser toute cette merde, cet endoctrinement permanent. »

Hasard bienheureux, van Wissem collectionnait les vinyles de la singulière série Made To Measure de Crammed Discs et, là, se retrouve signé sur ledit label bruxellois: « En décembre, je vais aller voir Tuxedomoon à Hasselt, ce n’est pas loin de Maastricht où je vais visiter ma mère, ce qui, d’ailleurs, me fout vraiment les jetons. » Courageux mais point téméraire donc.

EN CONCERT LE 5 DÉCEMBRE AU HANDELSBEURS DE GAND ET LE 23 JANVIER À FLAGEY À BRUXELLES.

RENCONTRE Philippe Cornet

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