EX-ICÔNE DES NINETIES, L’ACTRICE AMÉRICAINE EFFECTUE SON GRAND RETOUR, PAYANT DE SA PERSONNE DANS THE HATEFUL EIGHT ET DONNANT DE LA VOIX DANS ANOMALISA, CHARLIEKAUFMANNERIE À DÉCOUVRIR À ANIMA…

On n’osait, à vrai dire, plus trop l’espérer: à un âge où la plupart des actrices hollywoodiennes glissent, à leurs corps défendant, vers une retraite prématurée, Jennifer Jason Leigh opère un retour aussi spectaculaire qu’inattendu sur les écrans. La comédienne, de son vrai nom Jennifer Lee Morrow, n’a jamais fait les choses à moitié, et elle aligne, pour le coup, non pas un, mais deux rôles à se damner. A peine l’a-t-on découverte dans les habits de Daisy Domergue, la détenue forte en gueule de The Hateful Eight, le nouveau Tarantino, que la voilà qui prête sa voix à Lisa Hesselman, « héroïne » du formidable Anomalisa, comédie existentielle en stop motion de Charlie Kaufman et Duke Johnson, l’un des temps forts annoncés du festival bruxellois Anima (lire dossier page 18) après avoir obtenu le Grand Prix de la Mostra de Venise, en septembre dernier. « Je vis une année extraordinaire, c’est presque miraculeux, nous confiait-elle alors. Je n’imaginais pas connaître encore cela, un peu comme si l’on me redécouvrait. »

Révélée dès 1982 par Fast Times at Ridgemont High -comédie d’Amy Heckerling qui devait aussi imposer Sean Penn, Forest Whitaker et les talents d’écriture de Cameron Crowe, excusez du peu-, Jennifer Jason Leigh attend la fin de la décennie et le Last Exit to Brooklyn d’Uli Edel pour définitivement exploser. Les années 90 font d’elle une icône, option culte s’entend. L’on n’a pas oublié la téléphoniste de messagerie rose changeant les couches de son bébé tout en nourrissant les fantasmes d’un client dans Short Cuts de Robert Altman, pas plus, d’ailleurs, que la jeune femme vampirisant l’existence de Bridget Fonda dans Single White Female, de Barbet Schroeder, ni la journaliste infiltrée de The Hudsucker Proxy de Joel et Ethan Coen, trois rôles parmi d’autres. Elle retient surtout de cette période la Dorothy Parker de Mrs. Parker and the Vicious Circle, tourné pour Alan Rudolph, et la Sadie Food de Georgia, réalisé par Ulu Grosbard au départ d’un script écrit par la mère de l’actrice, Barbara Turner, soit « deux personnages, dit-elle, qui n’ont cessé de m’accompagner ».

Mais si le eXistenZ, de David Cronenberg, ponctue en beauté cette période faste, l’oubli, déjà, semble vouloir l’aspirer, que ne feront que timidement repousser les Anniversary Party qu’elle réalise en compagnie d’Alan Cumming –« J’y ai pris un plaisir infini. J’adorerais pouvoir réaliser un film à nouveau, c’est une expérience brûlante »-, Road to Perdition de Sam Mendes, In the Cut de Jane Campion. Et l’on ne mentionne que pour la forme le singulier Palindromes de Todd Solondz, où elle est l’un des multiples visages de la jeune Aviva, treize ans et ne désirant rien tant qu’être enceinte, l’actrice démontrant au passage n’avoir peur de rien, ou peu s’en faut, elle qui s’est toujours défiée de Hollywood et son industrie, brocardant notamment ces films grand public « où le rôle des femmes se limite, pour l’essentiel, à prouver que le héros masculin est hétérosexuel ». Un franc-parler qui vous forge une réputation, mais n’aide pas nécessairement une carrière.

Renaître au cinéma

Si bien qu’après dix ans d’une semi-traversée du désert -il y eut quand même Margot at the Wedding ou Greenberg de Noah Baumbach, dont elle partageait alors l’existence-, son retour apparaît, en effet, comme quasiment miraculeux. « J’ai eu un enfant –baptisé Rohmer-, et j’ai arrêté de travailler un moment. En tant qu’actrice, on ne sait jamais si on va retrouver du boulot, c’est la nature de la bête. On s’en accommode, et on commence à prendre plaisir à d’autres choses, ou à se résigner à accepter des jobs que l’on n’aime que modérément. J’en étais là quand ces deux projets se sont présentés… »

Pour peu, raconte-t-elle, elle en serait tombée à la renverse. Si elle connaissait bien Charlie Kaufman pour avoir été de Synecdoche, New York, il en allait autrement de Quentin Tarantino. « Ils sont fort différents, mais ont en commun la gentillesse, la douceur et leur amour des acteurs. Quentin écrit peut-être des trucs ultraviolents et ignobles, mais c’est quelqu’un d’adorable, attentionné et sensible. Pour Charlie, c’est plus évident. Et ils arrivent tous deux à vous transmettre leur enthousiasme. » Jennifer Jason Leigh le leur a bien rendu, dont la réputation de se plonger à fond dans ses rôles n’est plus à faire. Et de raconter son audition pour The Hateful Eight ou, de son propre aveu, elle est montée dans les tours, au risque de se ramasser. « Sinon, autant ne rien faire. Il faut se jeter à l’eau, se rendre vulnérable, risquer d’apparaître idiote ou affreuse, mais l’on ne peut être bonne sans être déterminée à y aller à fond. » Et si le tournage dans les Montagnes Rocheuses par un froid de canard a été rude, le jeu en valait la chandelle, puisque la voilà aujourd’hui auréolée d’une première nomination aux Oscars.

Anomalisa a constitué une expérience d’un autre ordre. Ecrit par Kaufman pour Jennifer Jason Leigh, Tom Noonan et David Thewlis, le texte, gravitant autour de thèmes et de sentiments adultes, a d’abord fait l’objet de deux représentations théâtrales. L’aventure aurait d’ailleurs pu s’arrêter là si le réalisateur n’avait ensuite décidé d’en faire un long métrage animé en stop motion. « Je ne pouvais y croire. C’était l’un des rôles les plus beaux et les plus riches que l’on m’ait jamais proposés. J’aspirais vraiment à ce qu’il ait une seconde vie. » Juste retour des choses, ce film qu’elle qualifie à juste titre de « révolutionnaire » lui aura valu de renaître au cinéma…

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Venise

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