L’ANGLETERRE A TOUJOURS EU LE CHIC POUR PRODUIRE DES OUTSIDERS MAGNIFIQUES. EXEMPLE AVEC KING KRULE, JEUNE LAD AU ROCK FIFTIES CAVERNEUX, COMME TOUT DROIT SORTI DU CANIVEAU.

Tout à coup, une lueur dans le regard. La seule en 40 minutes d’interview. La sono du café passe un vieux tube soul de Gladys Knight, et cela suffit pour illuminer le visage de King Krule, alias Archy Marshall. La journée a été visiblement longue. A moins que ce ne soit un restant de timidité: long échalas au scalp roux et aux oreilles décollées, vêtu d’un fute vaguement baggy et d’une chemise trop large, Marshall a des allures de grand dadais un peu gauche et lymphatique.

Son premier album, 6 Feet Beneath The Moon, est sorti le 24 août dernier. Ce jour-là, il fêtait également son 19e anniversaire… Précoce? Avant cela, King Krule avait déjà sorti plusieurs EP’s, et multiplié les projets sous différents pseudonymes. Sous celui de Zookid déjà, il avait réussi à se faire remarquer. A sa manière. Regard hagard vaguement inquiétant, prose de chien errant, Marshall s’est directement posé à des années-lumière des frivolités à la X-factor ou autre Nouvelle Star. « Mes premiers flashs en musique? Jimi Hendrix. Sa manière de jouer de la guitare me rendait fou. Et les Pixies. Je devais avoir 8 ans, quand j’ai découvert l’album Doolittle. Dès ce moment-là, j’ai eu envie d’être dans un groupe, de faire de la musique. » Il faut l’entendre aujourd’hui vociférer, presque aboyer, des restants de hargne punk dans la gorge. Une vraie gueule d’atmosphère.

Culture skate

Son accent ne trompe pas: Archy Marshall vient de Londres. La famille est musicale. A sa manière, précise-t-il. « Mes parents ne sont pas musiciens, mais ma mère m’emmenait souvent au concert. J’ai un oncle aussi qui joue dans un groupe de ska. C’est assez fun. » Plus tard, il explique que si un poster d’Hendrix trônait bien dans sa chambre, c’est sa mère qui a accroché celui de Snoop Dogg dans la cuisine… « Mes parents sont séparés. Je vis surtout chez ma mère. Elle est au chômage. Mon père bosse, mais je ne le vois pas trop. » D’un article du Guardian, on apprend tout de même qu’elle est illustratrice, lui directeur artistique. On n’est donc qu’à moitié étonné d’apprendre que le gamin a fini par atterrir à la Brit School, l’établissement artistique de Croydon où sont passés notamment Amy Winehouse, Adele, Katy B, Rizzle Kicks… « C’est comme une école normale en fait. J’ai appris pas mal sur l’Histoire et la sociologie de la musique. Il y a d’autres cours où ils essaient de vous amener à noter et écrire la musique, mais j’ai toujours été un peu « étroit » sur le sujet… »

Le punk encore une fois et le do it yourself, pour cet autodidacte. Soit la musique moins comme une technique à apprendre que comme un moyen d’expression à canaliser. « Je n’ai jamais été très populaire parmi mes camarades. La musique a toujours été un moyen de m’affirmer par rapport à tous ceux qui me voyaient comme un marginal, un mec bizarre. Une manière de répliquer, de dire: voilà ce que je suis capable de faire, je peux vous attraper avec ma musique, et, bam, vous mettre un pain dans la figure avec cette chanson. » Pour encaisser les moqueries, King Krule a donc la musique, sa guitare. Et puis le skate, qu’il pratique de manière intensive jusqu’à ses 14 ans. « Je me suis pété les ligaments. J’aurais pu me faire opérer, mais les docteurs m’ont expliqué que mes jambes n’allaient plus grandir. Donc j’ai évité. J’ai dû arrêter de pratiquer. Mais la culture autour du skate a continué d’être très importante pour moi. On était un peu comme les mecs dans le film Kids (de Larry Clark, 1995, ndlr), vous voyez? On écoutait de la musique, fumait des joints… Vous croisiez plein de gens cools, vous aviez l’impression de faire partie d’une vraie communauté. »

Aujourd’hui, la communauté est davantage musicale. Il parle de Jamie Isaacs, jeune chanteur-producteur, ou du groupe de jazz Psylus. « Ils ont mon âge. Le saxophoniste a 16 piges, le batteur deux de plus. Je les ai vus la première fois jouer dans une sorte de cave. Je les regardais, je voyais ce mec souffler dans son saxo, c’était génial, il me rappelait des vidéos de Joshua Redman. » Le jazz n’est pas la moins étonnante des influences que l’on peut déceler dans la musique de King Krule. Il cite volontiers les modèles Chet Baker (la dégaine, le charisme, la carrière déglinguée) ou Django Reinhardt.

Sur 6 Feet Beneath The Moon, le jeu de guitare manouche semble rencontrer parfois celui plus « twangy » d’un Eddie Cochran. Au fil des morceaux, se dessine ainsi l’image d’un loner au romantisme désabusé et blême, sorte de Tom Waits jeune et cockney. « Old soul » dans un corps d’ado, King Krule joue souvent sur l’économie, comme avec le single Easy Easy, guitare et voix électrisées par la réverb’. Pour autant, Marshall est bien de son époque. Et de son coin de Londres, le sud-est, d’où est parti notamment le mouvement dubstep. « Cela reste très important. J’ai toujours été entouré par ça, j’ai grandi avec la dance, la house, le UK garage, le dubstep… Même aujourd’hui, le truc qui cartonne à Londres, c’est Disclosure. Donc je fais des trucs électroniques, je suis aussi derrière mon laptop, mais pas de la même manière. »

Reste cette voix de crooner débraillé. Urbain et nocturne, le paysage musical de 6 Feet Beneath The Moon est d’abord et avant tout marqué par cette rage rentrée. « Les principales émotions que j’exprime dans mes morceaux relèvent en effet de la colère. » Contre quoi? « Pas mal de choses. Quand j’ai commencé, j’avais une très longue liste. Un tas de frustrations à purger. » Et aujourd’hui? « Oh, il reste encore de la matière. » On est rassuré…

KING KRULE, 6 FEET BENEATH THE MOON, XL RECORDINGS.

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EN CONCERT (COMPLET) LE 12/10, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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