Intérieur nuit

Écrivain très discret, Didier Blonde reconstitue le fil de la liaison fugace entre deux figurants sur le tournage des Baisers volés de François Truffaut.

Lorsque le narrateur nous emmène à sa suite, il est en train de descendre une rue de Montmartre quand, à la hauteur d’un café, il est soudainement accroché par le bras et poussé avant d’être immobilisé. Tout à ses pensées, il a en réalité manqué pénétrer le champ d’un tournage de cinéma. Attablé au zinc du « Disque bleu » un peu plus loin, Jean-Pierre Léaud est en train de redevenir Antoine Doinel devant les caméras: après Les Quatre-cents Coups et Antoine et Colette, François Truffaut ranime la grâce désinvolte de son personnage fétiche pour Baisers volés, qui déplace dans le Paris de 1968 certains traits de l’intrigue du Lys dans la vallée de Balzac. Au jeune narrateur distrait, on propose alors de devenir, intentionnellement cette fois, figurant sur la scène suivante. En 1968, certains événements arrivent aussi facilement que cela… Il reçoit ses consignes: partager une table avec une jeune femme, mimer avec elle une conversation muette. Sa partenaire s’appelle Judith, elle est héroïne de roman-photo, mannequin occasionnel, figurante professionnelle. Ses airs naturels et évanescents troublent et captivent le narrateur. Ils passeront la nuit ensemble, après quoi la jeune femme s’enfuira au matin. À sa poursuite, le héros la cherchera désormais de tournage en tournage, de pellicule en pellicule. « C’était déjà la fin de la Nouvelle Vague, à laquelle je n’ai pas survécu, mais qui, sans qu’on y prenne garde, porte mon empreinte dans un coin de l’image et forme une chaîne secrète de film en film. » Quarante-cinq ans plus tard, il cherche encore à élucider le mystère. Il retourne sur les lieux, dresse des listes de noms propres, reconstitue heure par heure leur emploi du temps, réalise à la Blow-Up des agrandissements successifs des rares photos qu’il possède du tournage. Sans que l’on puisse tout à fait déterminer si son but est de retrouver Judith, ou bien de se complaire un peu dans le roman, beau et nocturne, de sa disparition…

Intérieur nuit

Hors-champ

Finit-on par transformer nos anciens souvenirs en scènes de cinéma? N’a-t-on parfois été que les figurants de notre propre histoire? Quels secrets s’accumulent dans le hors-champ de nos existences? Amoureux de Baudelaire, de Fantômas ou de Musidora, Didier Blonde est un être abonné aux cimetières, aux actrices de cinéma oubliées, aux salles obscures et à leurs fictions romantiques. Après Leïlah Mahi, 1932, formidable enquête littéraire sur la vie fantasmée d’une Parisienne des années folles (le livre vient de sortir en poche), l’auteur de L’Inconnue de la Seine mêle ici à nouveau fantasmes intimes et récit d’époque (ces quelques pages littéralement engouffrées dans le soulèvement qui opposa les Godard, Truffaut, Resnais à André Malraux à l’heure du limogeage d’Henri Langlois à la tête de la Cinémathèque française, en guise de répétition générale à mai 68). Dans ses moments les plus émouvants, le texte, vaporeux et sans complications, réalise aussi le portrait fugace de quelques personnages secondaires -doublures-lumières, figurants, silhouettes parlantes: ces anonymes jouant dans les films le rôle d’accessoires, ou de fantômes, et dont la pellicule a fragilement enregistré le passage.Un roman policier sentimental pour les amoureux de Paris, de la mélancolie, des mystères, des livres de Patrick Modiano et de la Nouvelle Vague.

Le Figurant

de Didier Blonde, éditions Gallimard, 160 pages.

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