CROISANT QUESTIONNEMENT SPIRITUEL ET PUR PLAISIR DE STORYTELLING, LIFE OF PI BROUILLE LES FRONTIÈRES ENTRE FABLE ET RÉEL DANS UN RÉCIT INITIATIQUE ENCHANTÉ.

LIFE OF PI

D’ANG LEE. AVEC SURAJ SHARMA, IRRFAN KHAN, RAFE SPALL. 2 H 02. DIST: FOX.

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C’est, au fond, la leçon apprise dans le chef-d’oeuvre crépusculaire de John Ford, The Man Who Shot Liberty Valance, que reconduit, dans un registre il est vrai foncièrement différent, le dernier film d’Ang Lee, le réalisateur de Crouching Tiger, Hidden Dragon et Brokeback Mountain: quand la légende dépasse la réalité, mieux vaut retenir la légende. Celle-ci, en l’occurrence, n’est pas banale, qui concerne le jeune Piscine Molitor Patel, dit Pi, enfant des propriétaires du zoo de Pondichéry parti avec sa famille refaire leur vie au Canada avant de se retrouver, un naufrage plus loin, seul à bord d’un canot de sauvetage en compagnie d’un… tigre du Bengale, l’imprévisible Richard Parker. Une épreuve pour le moins extrême, illustrant combien l’expérience physique -la faim, la fatigue, la souffrance…- peut influer sur la perception, la pensée, et jusqu’aux plus profondes certitudes elles-mêmes, dans une logique de parfaite correspondance entre le corps et l’esprit. Pour une fable teintée de merveilleux à l’esthétique certes quelque peu borderline -la baleine fluo, l’île carnivore…- mais largement moins balisée et surtout moralisatrice qu’attendu.

Travaillé par la question de la foi, le film prône ainsi une revigorante ouverture des esprits, dynamitant les frontières entre les diverses croyances instituées pour construire sa propre voie spirituelle. Le tout porté par une mise en scène dont l’évidente ambition spectaculaire -la saisissante scène du naufrage- ne se déploie jamais au détriment d’un souci, permanent, de l’intime: odyssée homérique autant que voyage intérieur, Life of Pi joue en effet la carte du divertissement familial sensible, le conte philosophique à portée universelle se doublant d’un récit initiatique aux singulières implications.

Les bonus Blu-ray, substantiels (près de deux heures de matière), apportent des réponses on ne peut plus limpides à un nombre considérable de questions soulevées à la vision du film, du cheminement ayant mené Ang Lee à porter à l’écran le roman réputé inadaptable de Yann Martel -lequel témoigne ponctuellement- au déroulement problématique d’un tournage plus que casse-gueule impliquant animaux, enfants, élément aquatique, effets spéciaux et 3D, en passant par la préparation très particulière du jeune Suraj Sharma, véritable révélation de l’aventure. Ang Lee s’y confie copieusement sur son rapport au cinéma et, plus généralement, à la vie, voire même à la prière. Autant de clés livrées en écho au film lui-même, permettant d’en saisir la manière subtile de concilier souffle épique et dimension humaine.

NICOLAS CLÉMENT

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