Les années de plomb – Paolo Sorrentino passe Giulio Andreotti au crible d’une satire mordante, renouant avec la verve acide du cinéma politique italien d’antan.

De Paolo Sorrentino. Avec Toni Servillo, Anna Bonaiutio, Giulio Bosetti. 1 h 53. Dist: Universal.

Prix du Jury au festival de Cannes en 2008, Il Divo aura consacré, aux côtés de Gomorra de Matteo Garrone, le retour bienvenu d’un cinéma politique italien tel qu’il fit florès dans les années 70. Au c£ur de ce film coup de poing de Paolo Sorrentino, Giulio Andreotti, ministre à 25 reprises à partir des années 50, et 7 fois président du Conseil italien de 1972 à 1992. Soit l’incarnation même d’un demi-siècle de pouvoir de la Démocratie chrétienne, et un homme politique qui aura cristallisé sur sa personne les dérives d’une Italie malade, celle des années de plomb, avec leur cortège de crimes et de collusions multiples. Ces affaires finiront d’ailleurs par le rejoindre au tournant des années 90, sous forme d’instructions judiciaires à répétition dont il sera toutefois acquitté, faute de preuves ou de témoins…: Andreotti n’a pas été surnommé « L’inoxydable » par hasard.

Andreotti, qu’incarne de stupéfiante façon Toni Servillo (dont l’allure n’est pas sans évoquer un Nosferatu rabougri), Sorrentino l’aborde par le biais de la satire, s’employant à désacraliser le monstre au gré d’un film en forme de procès à charge. S’il ancre son récit à l’orée des années 90, le réalisateur adopte une construction éclatée, embrassant plusieurs décennies d’histoire en même temps que s’esquisse un portrait au vitriol d’un être paradoxal pour le moins. Voilà en effet un individu que la caméra restitue tour à tour, ou tout à la fois, comme un mélange de normalité confinant à l’insignifiance et de machiavélisme sournois; un homme à l’esprit aiguisé mais au commerce sinistre; un individu dévot mais semblant plus encore guidé par son appétit d’un pouvoir qu’il n’eut de cesse de guigner… A quoi s’ajoute une plongée effarante au c£ur d’un système corrompu, impitoyablement mis à nu.

L’ancêtre de Berlusconi

C’est dire, bien sûr, l’intérêt d’un film courageux et fascinant, regard acéré sur un pan trouble de l’histoire et ceux qui la font, non dénué par ailleurs d’une acide drôlerie. Dommage, toutefois, que Sorrentino se laisse par moments emporter par son élan: de nerveux, le montage de Il Divo se fait alors soûlant, sentiment aggravé dès lors que le court lexique initial ne suffit pas toujours à éclairer les méandres d’un scénario à l’image des événements qu’il dépeint: tortueux.

Bémol relatif, que compensent d’ailleurs des suppléments inspirés. En sus d’un rappel historique succinct, on peut y voir le réalisateur replacer son propos dans un contexte plus vaste, non sans faire d’Andreotti l’ancêtre d’un Berlusconi usant et abusant des médias. Plus classique, un making of éclaire différents aspects du film, avec une attention toute particulière pour son montage et sa bande- son, tandis que les scènes coupées méritent le détour – en particulier celle qui voit un Andreotti au visage chafouin s’entretenir avec Gorbatchev du « secret de sa politique extérieure »; tout un programme.

Jean-François Pluijgers

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