Le sphinx – Paolo Sorrentino signe un portrait au vitriol de Giulio Andreotti, figure incontour-nable et controversée de l’Italie du XXe siècle.

De Paolo Sorrentino. Avec Toni Servillo, Anna Bonaiutio, Giulio Bosetti. 1 h 40. Sortie 14/01.

Vingt-cinq fois ministre et sept fois président du Conseil des années 70 au début des années 90, Giulio Andreotti fut une figure politique essentielle de l’Italie du XXe siècle, incarnant un demi-siècle de pouvoir de la Démocratie chrétienne. Un monstre que Paolo Sorrentino s’emploie à désacraliser dans un film qui en instruit le procès à charge, prenant là le relais des nombreuses poursuites judiciaires dont fut finalement l’objet l’homme politique, aujourd’hui nonagénaire.

Son film, Sorrentino le construit comme une mosaïque composite, balayant 60 ans d’histoire dans un mélange de sentiments et humeurs diverses. La fureur le dispute à la stupeur, l’ombre à la lumière, la fascination à la répulsion, alors que le cinéaste s’attache aux faits et à la personnalité d’un homme aussi paradoxal qu’impénétrable. Andreotti – qu’interprète de stupéfiante façon Toni Servillo -, c’est un mélange de normalité confinant à l’insignifiance et de machiavélisme sournois, un être indubitablement spirituel mais ostensiblement sinistre; un individu dévot dont tout l’être semble cependant tendu vers un pouvoir qu’il a incarné mieux que quiconque: ne disait-il pas, au plus fort de sa splendeur,  » le pouvoir n’use que ceux qui ne l’ont pas« ?

C’est dire aussi que l’homme a cristallisé sur lui les dérives d’une Italie malade, celle des années de plomb, avec leur cortège de crimes et de collusions diverses entre le pouvoir officiel, les loges, le Vatican ou la mafia… Affaires qui finiront d’ailleurs par le rejoindre, au tournant des années 90, sous forme d’instructions judiciaires dont il sera acquitté, faute de preuves ou de témoins…

Le retour du cinéma politique

Explorant un pan particulièrement trouble de l’histoire italienne, le film de Paolo Sorrentino se révèle absolument passionnant, plongée effarante au c£ur d’un système impitoyablement mis à nu, en même temps que s’esquisse le portrait vitriolé de sa figure centrale. L’entreprise n’est certes pas dénuée de grandeur, elle souffre néanmoins de divers travers, dont le premier tient à une mise en scène à ce point nerveuse et hétéroclite qu’elle en apparaît par moments soûlante. Sentiment aggravé dès lors que le scénario laisse à l’occasion le spectateur à quai d’une histoire qu’un court lexique initial ne suffit pas toujours à éclairer. On ne peut, à cet égard, que rejoindre Andreotti lui-même, lorsqu’il déclarait, dès 1959, avec l’humour caustique le caractérisant:  » Expliquer l’Italie aux étrangers n’est pas toujours facile. Chez nous, les trains les plus lents sont appelés rapides et le quotidien Il corriere della sera sort le matin. » Dans le chef d’un homme indéchiffrable, on serait tenté de parler de profession de foi…

Cela étant, voilà un film puissant, venu témoigner, aux côtés du Gomorra, de Matteo Garrone, du retour d’un cinéma politique italien tel qu’il fit florès dans les années 70. Nul ne s’en plaindra…

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Jean-François Pluijgers

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