Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

FIGURE INTELLECTUELLE CRUCIALE, MICHEL LEIRIS A PROJETÉ SON OMBRE SUR LE SIÈCLE PASSÉ. UNE EXPO RESITUE SON AURA.

Leiris & co

CENTRE POMPIDOU-METZ, 1, PARVIS DES DROITS DE L’HOMME, À 57 020 METZ. JUSQU’AU 14/09.

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« 19 mai 1931. Départ de Bordeaux à 17 h 50. Les dockers placent un rameau sur le Saint-Firmin pour indiquer que le travail est fini. Quelques putains disent au revoir aux hommes d’équipage avec qui elles ont couché la nuit précédente. » Ainsi débute L’Afrique fantôme, remarquable journal intime et carnet de voyage tenu par Michel Leiris pendant deux ans lors d’une expédition sur le continent africain en compagnie de l’ethnographe Marcel Griaule. L’ouvrage -paru au sein de la collection Tel de Gallimard- est de ceux qu’adolescent on a chéri plus que la vie. Rien de plus puissant que cette odyssée, à travers la mer couleur de thé, vers les ciels de plomb et les sanglants sillons de latérite. On se souvient d’avoir pleuré avec l’intéressé lorsque tel vieillard d’une tribu reculée se refusait à livrer à l’archiviste en herbe -il était chargé de rendre compte de cette première mission ethnographique française en Afrique- les arcanes du rituel des masques de sa peuplade. Ou encore d’avoir compati pleinement à plus de 700 jours de chasteté soulignée par cette mémorable petite phrase: « Certains diront que je n’ai pas de couilles. » Mais c’est surtout la figure d’un misanthrope qui subsiste. Un homme désirant rompre avec l’image du père et, plus largement, de tous les hommes. Ce besoin fondamental de ne pas ressembler aux autres est à n’en pas douter une des clés pour entrer dans la tête de Michel Leiris. D’où sans doute une prédestination à rencontrer ces autres dissidents que sont Joan Miró, André Masson, Alberto Giacometti, Pablo Picasso, Wifredo Lam, Francis Bacon…

Esthétique du risque

Le voyage entrepris par Leiris -il faudrait dire « les » voyages car il y en a eu d’autres, aux Antilles, par exemple, où il a découvert les rites vaudous- l’a d’emblée placé à la fine pointe du siècle qu’il a traversé (de 1901 à 1990). Anticolonialiste et antiraciste de la première heure, Leiris est d’une modernité absolue, peut-être plus que jamais en ce moment d’intense mondialisation. C’est d’ailleurs tout le mérite de l’exposition Leiris & co que d’arriver à restituer cette acuité à travers 350 oeuvres dont de nombreux chefs-d’oeuvre des artistes précités. Le tout retranscrit à merveille les choix de ce passionné de jazz, d’opéra, mais aussi de spectacles vivants et de corrida, qui appelait de ses voeux cette fameuse « esthétique du risque » qu’il a si bien décrite dans un ouvrage comme De la littérature considérée comme une tauromachie. Quinze sections se partagent l’espace du Centre Pompidou-Metz, elles portent des noms explicites: « Opérratiques », « Leiris Fantôme », « L’Age d’homme », « Jazz », « Un Surréaliste marginal »… C’est surtout « La Peinture comme modèle: Picasso et Bacon » qui retient l’attention. Cette section détaille le lien fort qui unissait Leiris à ces deux figures majeures de la peinture. C’est tout particulièrement vrai pour Bacon, dernière grande rencontre du poète et ethnographe qui mieux que personne a mis à jour les notions de « cri à vif« , de « rage de saisir« , de « mise à nu paroxystique« , de « convulsions« , ou encore de « cruautés sans âge« , opérant dans l’oeuvre du Britannique.

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MICHEL VERLINDEN

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