Le cinéma enfonce régulièrement le clou sur le parchemin de nos émotions: les relations enfants-parents ne sont pas au beau fixe. Incompréhension, indifférence, rejet, voire maltraitance, scient la branche de l’arbre généalogique sur laquelle tous sont perchés. C’est d’autant plus inquiétant que l’enfance est un peu le canari qu’on emmenait jadis au fond de la mine. Quand il ne chantait plus, c’est que le coup de grisou était imminent.

Une situation de crise qui ne pouvait qu’inspirer et titiller les réalisateurs les plus perméables aux contorsions intimes d’une époque qui stagne dans le brouillard. D’où tous ces films qui ont posé ou posent leur stéthoscope sur le coeur du réacteur intrafamilial, esquissant les contours d’un (nouveau) genre en soi promis à un bel avenir.

Sous ses dehors de polar moite du Sud, Mud de Jeff Nichols avait déjà des airs de voyage initiatique à la recherche d’un père choisi plutôt qu’imposé par la nature. Plus frontal dans ses préoccupations et son autopsie des dysfonctionnements de la cellule souche, le troublant Kid de notre compatriote Fien Troch débitait en plans fixes doloristes les effets dévastateurs de la disparition inopinée du géniteur sur une petite tête blonde se coltinant en bonus le désarroi grandissant de la mère.

La petite fille délurée de What Maisie Knew avait plus de chance, si l’on veut. Ballotée entre un père peu scrupuleux et une mère immature et instable, elle s’est trouvé des parents de substitution chez ses deux baby-sitters. Pas de leçon de morale sentencieuse derrière ce schéma amené avec délicatesse, sinon qu’il vaut parfois mieux s’en remettre aux sentiments authentiques, forgés dans l’instant et dans l’épreuve, qu’à un lien du sang frelaté.

Justement, cette question de la transmission est le thème central du Like father, like son du toujours émouvant Hirokazu Kore-eda. Orfèvre en matière de sentiments écorchés, l’auteur de I Wish démonte ici les défenses d’un jeune cadre dynamique pétri de certitudes sur l’éducation et dont le monde s’écroule lorsqu’il apprend que son fils n’est pas son fils suite à une inversion à la maternité. De la suffisance au doute et du doute au désespoir, le chemin vers la rédemption est long et douloureux. Là encore, le réalisateur pose sa caméra au plus près des battements d’ailes de ces créatures fragiles et délicates, dont les ratés peuvent provoquer des déflagrations à l’autre bout de la chaîne héréditaire. Tout adulte n’est qu’un enfant qui a bien ou mal tourné…

A ce propos d’ailleurs, le loachien Selfish Giant signé Clio Barnard, qui sortira à la mi-janvier chez nous, s’intéresse au sort prolétarien de deux potes de 13 ans. Virés de l’école, ils survivent en collectant des métaux pour un ferrailleur. Ceux-là sont carrément privés d’enfance, la violence sociale prolongeant bien souvent la violence domestique. Comme l’avait déjà démontré avec éclat en 2013 Marc-Henri Wajnberg dans son trépidant Kinshasa Kids.

Depuis Le petit fugitif (1953) du tandem Ray Ashley-Morris Engel, qui racontait l’errance d’un gamin dans les décors irréels de Coney Island, le cinéma se penche régulièrement sur le sort des mômes. Pas uniquement pour leurs beaux yeux ou leurs bouilles craquantes, mais surtout pour y déceler des vérités, bonnes ou mauvaises à dire, sur nous-mêmes. Quand les enfants morflent, c’est qu’il est plus que temps de se remettre en question. Sinon gare au coup de grisou!

PAR Laurent Raphaël

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