Il était une fois un ours new-yorkais mélomane et bien léché, prêt avec un troisième album fabuleusement soigné, à s’ouvrir les portes du succès. Nous l’avons rencontré. Voici son histoire. Extraordinaire et… véridique.

Oyé Oyé braves gens. Ceci est un conte du 21e siècle. Parce que dans un conte, les héros en bavent souvent et tout se termine bien. Et puis un conte, c’est tout simplement merveilleux. Comme le troisième et nouvel album de Grizzly Bear. Il était une fois, donc, dans un passé pas si lointain, un groupe de Brooklyn en concert à Bruxelles un jour d’armistice. Troubadours des temps modernes, Ed l’homosexuel assumé, Chris Taylor le producteur tatoué, Chris Bear le batteur végétarien et Daniel, conservateur du Département des aigles (1), faisaient le tour de l’Europe, colportant la bonne parole et la grande musique. Celle à dormir debout qui fait rêver les fous. Comme les films de Tim Burton et les bandes originales de Danny Elfman.

Ce soir-là, pas fatigués pour un sou, bien décidés à courir les tavernes avec quelques compagnons assoiffés, ils entassaient instruments et effets personnels dans leur carriole sous le regard mi-désintéressé, mi-curieux d’une quinzaine de badauds.

Leur cocher n’était pas d’humeur joyeuse. Venant de rompre avec son promis, elle pleurait toutes les larmes de son corps et décidait de rentrer se coucher.

Un ours n’est pas toujours mal léché. De retour de ripaille, sur le coup de 3 heures du matin, les quatre gentils Grizzly évitaient de la réveiller (la pleureuse avait gardé les clés du véhicule), laissaient leurs paquetages dans le coffre et s’endormaient à poings fermés. Quand ils se levèrent, les yeux encore plein de sommeil, la charrette était vide. Plus d’argent, de passeports, de vêtements. Plus de sacs, d’instruments, de médicaments… Juste du sang.

Les fripouilles avaient cassé les fenêtres à mains nues. Habillés de guenilles à leur effigie (restes de leur merchandising), obligés de mettre un terme prématuré à leur tournée, Ed, Daniel, Chris T. et Chris B (qui avait perdu la bague de fiançailles de son père dans l’aventure) juraient que ça leur ferait les pieds. Qu’on ne les y reprendrait plus.

Les jours passèrent, les douleurs s’estompèrent et les quatre ours de Brooklyn commencèrent à plancher sur un nouvel album. Désormais moins attachés aux choses matérielles de la vie, ils décidèrent de ne pas se presser, de prendre leur temps, et d’aller s’installer trois semaines durant dans un vieux château au c£ur des collines.

Là, au milieu de nulle part, sans voisin à réveiller, sans horaire de fonctionnaire à respecter, ils se mirent à créer en toute liberté. Les gentilshommes pouvaient se laisser aller. Jouer aussi fort qu’ils le désiraient. Guidés par leur seule inspiration. Personne ne viendrait les déranger à des kilomètres à la ronde.

Morues, sirène et chien rappeur

Grizzly Bear s’installa ensuite à Cape Cod. Une étrange presqu’île sur la côte Est des Etats-Unis habitée par des baleines à bosses, des pluviers siffleurs, 2500 phoques et une sirène (Tom Hanks en tombe amoureux dans Splash). Ce cap aux morues, les suceurs de sang de Vampire Weekend l’avaient remis au goût du jour à travers l’une de leurs chansons (2). A défaut de croiser la sensation pop 2008 au détour d’un chemin, nos quatre musiciens se mirent à l’ouvrage dans une petite maison au cadre très intime donnant sur l’océan. Là, ils enregistraient leurs chansons les plus calmes au son d’un feu qui crépite.

Les fées du folk s’étaient posées sur leur berceau mais Veckatimest, leur chef-d’£uvre, l’accomplissement d’une vie, n’était pas pour autant parachevé. Les New-Yorkais iraient le terminer dans une église. Elle n’était pas aussi vieille, imposante, grandiose, que les édifices religieux européens mais n’en demeurait pas moins jolie. Elle avait aussi le grand avantage de n’accueillir qu’un seul service par semaine.

Là, avec patience plus qu’avec force et rage, les trois mousquetaires enregistrèrent un quartet à cordes, une chorale féminine et peaufinèrent soigneusement, en orfèvres mélomanes, les derniers détails de leur bijou. Veckatimest était magnifique. Le plus magnifique des disques jamais enregistrés sur Terre.

Il était écrit dans la pierre qu’il ferait tourner les têtes. Une bande de pirates internautes, brigands de grands chemins, tentèrent de se l’approprier. Le diffusèrent gratuitement sur la Toile magique. Mais Veckatimest était si grandiose, si envoûtant, que tout le monde en cette période de crise, en cette ère de la musique dématérialisée, puisait dans sa bourse. Grizzly Bear pouvait reprendre la route. Et rêver d’une collaboration avec Snoop le chien rappeur.

(1) Le musée imaginaire cher à Marcel Broodthaers lui a inspiré le nom

de son autre groupe: Department of eagles.

(2) Cape Cod Kwassa Kwassa.

Texte Julien Broquet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content