Galette bretonne

© MARCIN KEMPSKI

Yelle revient avec une nouvelle collection de tubes, plus tourmentés mais toujours aussi dansants et décalés.

La pop music tient toujours un peu de la cascade: compliquée à réaliser, limpide à l’écran. Depuis le début, Yelle -duo/couple formé par Julie Budet et GrandMarnier ( lire l’interview page 18)- la pratique avec passion, et sans doublure, quitte à se prendre des gamelles. Les risques du métier… En 2014, l’album Complètement fou, produit en partie avec le hitmaker ricain Dr. Luke, était, comme son nom l’indique, joyeusement cintré: un baroud pop synthétique extatique, faussement naïf, faisant le lien entre Daft Punk et Richard Gotainer, Étienne Daho et Katy Perry. L’exploit valut un nouveau tour du monde au binôme. Mais ne trouva que peu d’écho sur ses propres terres.

Six ans, un EP, et une tournée des clubs plus tard, c’est le sujet de Je t’aime encore. Single lancé en éclaireur au printemps dernier, il est assurément l’une des plus belles chansons de 2020. Avec son piano lorgnant La Ritournelle de Tellier et son rythme vaguement dancehall, c’est un peu leur Lettre à France. Et aussi la plus touchante des professions de foi pop:  » Je ne suis peut-être pas la plus belle, mais je suis la sincérité« , plaide Yelle. En l’occurrence, aujourd’hui, cela revient pour le duo à nuancer davantage sa palette de couleurs.

Pop philo

C’est peu dire que, depuis 2014, le paysage -politique, social, culturel, etc.- n’est plus du tout le même. Comme tout le monde, Yelle a dégusté. D’autant que le temps passe, les amours filent, des proches disparaissent ( Peine de mort). Raison de plus pour s’épuiser sur la piste de danse? Certes. Mais désormais, c’est moins pour s’échapper que pour se trouver, le corps à la fois exultant et philosophe – » Est-ce que toi/T’as la chance d’être toi/quand tu danses? » sur Émancipense.

Galette bretonne

Dans la garde-robe, les tenues fluo ont été remplacées par des étoffes plus sobres et sombres:  » Elle a changé d’attitude/Elle a pris de l’altitude » ( Noir). Depuis son promontoire, Yelle observe ainsi ses contemporains, rivés aux écrans, vivant leur vie par procuration ( Chambre avec vue), ou profitant de l’anonymat des réseaux pour se faire roquet, trolls planqués bien au chaud derrière le clavier.  » Ton kimono est un pyjama« , répéte-t-elle en boucle sur Karaté, à la manière d’un kan ha diskan breton. Car même si le couple continue de collaborer (de Voyou au producteur montréalais Billboard en passant par le fidèle Tepr), il reste solidement enraciné en terre de Breizh. À l’écart de l’agitation parisienne, Yelle observe, scrute, dissèque, prise au piège platonicien: elle savoure à la fois davantage le moment, tout en le voyant glisser irrésistiblement entre ses doigts, déjà nostalgique ( Mon beau chagrin).

En toute fin de disque, sur Un million, la Briochine contemple encore:  » Je regarde nager les envies, les douleurs, le chaos » . Mais c’est pour mieux les sublimer. En astrologie, L’Ère du verseau fait d’ailleurs référence à une période de renaissance et de reconstruction, où le dialogue et la bienveillance remplaceraient les conflits et les crises d’ego toxiques. On a hâte qu’elle débute…

Yelle

« L’Ère du verseau »

Distribué par Pias. En concert le 17/12 à la Madeleine, Bruxelles.

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