Fuller, le raconteur

L’Américain Samuel Fuller reste un des plus formidables narrateurs du 7e art. Un livre admiratif et complice en témoigne.

Dans les années 80, il n’était pas rare de voir Samuel Fuller dans le train entre Paris et Bruxelles. Il fut même aperçu à… Woluwe-Saint-Lambert, où la soeur de son épouse Christa Lang avait élu domicile. Le cinéaste n’était pas avare de commentaires sur la Belgique, les plus saisissants remontant à la Seconde Guerre mondiale durant laquelle, reporter de guerre, il fut notamment juché sur le premier char américain entrant dans Braine-l’Alleud pour libérer la ville, subissant les tirs d’un sniper ennemi perché dans le clocher d’une église. Quel narrateur formidable était Fuller! Quel raconteur unique! Son éternel gros cigare aux lèvres, les yeux pétillants de malice, posant volontiers une main bienveillante sur votre bras, il pouvait passer des heures à partager ses souvenirs, de guerre et de journalisme mais aussi, bien sûr et surtout, de réalisateur. Le livre de Jean Narboni rend hommage à cette vertu de conteur d’histoires qui fut le moteur de son cinéma. Une évidence et même une nature, s’exprimant avec force et avec verve de I Shot Jesse James (son premier film, en 1949) à Street of No Return (son dernier, en 1988) en passant par les formidables Pickup on South Street (1953), House of Bamboo (1955), Run of the Arrow (1957), Shock Corridor (1963), The Naked Kiss (1964), The Big Red One (1880) et White Dog (1982).

Fuller, le raconteur

Rude et immédiat

 » Samuel Fuller n’est pas un primaire, mais un primitif, son esprit n’est pas rudimentaire mais rude, ses films ne sont pas simplistes mais simples. » Ainsi s’exprimait un jeune critique nommé François Truffaut dans un article consacré à Verboten! (1959) dans France Observateur. Jean-Claude Biette, autre critique devenu cinéaste, qualifiant dans Les Cahiers du Cinéma le réalisateur de The Crimson Kimono (1959 aussi) de  » génie immédiat, brut, inexplicable et isolé« . Divisé en chapitres brisant la chronologie pour se balader librement dans la filmographie du natif de Worcester, Massachusetts, le livre de Narboni célèbre de manière enthousiaste mais aussi solidement argumentée  » ce sentiment persistant éprouvé devant les films de Fuller que les événements ne se déroulent pas devant nous tels qu’ils sont censés survenir au présent mais qu’ils sont rapportés, racontés, relatés par quelqu’un qui les vécus dans un passé plus ou moins lointain ou qui en a entendu parler par un autre« . Ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma (de 1968 à 1974), enseignant à l’université Paris VIII puis intervenant à l’IDHEC et à la Fémis, Jean Narboni évite les pièges de l’intellectualisme pour évoquer un cinéaste extraordinairement physique, qui sut filmer la violence avec un impact phénoménal, lui qui ne l’aimait pourtant pas. Car Fuller était aussi un homme d’idées, libertaire et antiraciste, avec une claire sympathie pour les individus à la marge, inclassables ou exclus.

Samuel Fuller – Un homme à fables

De Jean Narboni, éditions Capricci, 160 pages.

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