Notre époque est fâchée avec le temps. Pas celui qu’il fait, celui qui se consume inexorablement. Coincés entre le marteau de l’urgence et l’enclume des incitations à lever le pied, nous ne savons plus à quelle horloge nous fier. Doit-on galoper comme le lapin blanc dans Alice pour faire entrer plusieurs vies dans une seule ou ralentir le tempo pour soupeser le poids de chaque seconde? Pot de fer fonctionnaliste contre pot de terre romantique… Même si sur le papier, personne n’a vraiment envie d’être esclave de l’éphémère, dans la pratique, on court tous derrière le chrono à en perdre haleine. Comme si notre salut en dépendait.  » Un leurre« , nous mettent en garde les nouveaux apôtres de la lenteur, les Carl Honoré ( Eloge de la lenteur, Cahier de travaux pratiques pour apprendre à ralentir) et autre Jean-Louis Servan-Schreiber ( Trop vite!), qui dressent la liste des méfaits du « tout tout de suite » (stress, insatisfaction permanente, impossibilité à se projeter au-delà du lendemain…) et plaident pour une révolution copernicienne de notre rapport au temps. Plus facile à dire qu’à faire. Poussés dans le dos par l’idéologie « court-termiste » du profit et l’obsession de la performance -les 2 mamelles de notre société de consommation-, nous embarquons presque par réflexe dans le train fou de la vitesse. Avec certains bénéfices fugaces à la clé -sentiment de tromper la mort, de se démultiplier à l’infini (et au-delà) ou de prendre la mesure du temps- mais aussi un arrière-goût de tromperie sur la marchandise une fois l’effet euphorisant initial dissipé. Le progrès ressemble en fait à une praline à l’alcool. Alléchant à l’extérieur, infâme à l’intérieur. Mais ce n’est qu’en mordant dedans qu’on réalise son erreur. Il est alors trop tard pour faire marche arrière. On doit enfourner le tout en réprimant une grimace… Les smartphones comme demain les tablettes numériques sont des chevaux de Troie dans notre quotidien. Ils séduisent par leur design, par leurs prouesses techniques et leurs promesses de nous faciliter l’existence en nous faisant gagner de précieuses minutes, avant de devenir les chaînes dorées nous ligotant à notre travail ou à de nouveaux loisirs addictifs et chronophages. Avec sa vitesse de frappe imbattable, le Web a d’ailleurs largement contribué à créer l’illusion qu’on peut désormais jongler avec le temps et l’espace. Ce qui n’enlève rien à ses mérites (nous faire découvrir le dernier Godard dans notre salon ou inventer de nouveaux langages audiovisuels comme dans le webdocumentaire Prison Valley) mais, à l’image de toute technologie, le Net n’est pas bon ou mauvais en soi. Tout dépend de l’usage qu’on en fait. Certains l’ont oublié et se sont perdus dans ses trous noirs. Les plus courageux, les moins intoxiqués en reviennent aujourd’hui, lassés de prendre des vessies pour des lanternes. Facebook par exemple essuie depuis quelque temps une fronde, des centaines d’accros tentant de s’extirper de ses griffes… à la recherche du temps perdu. l

Par Laurent Raphaël

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