Forêt-Furieuse

© SYLVAIN CHERKAOUI

Avec Forêt-Furieuse, Sylvain Pattieu s’était imposé un pari risqué, une invraisemblable gageure: raconter sur 650 pages, dans une langue dense à la permanente créativité, les péripéties à la fois sombres et puissantes d’une troupe de gamins abîmés, invalides bien souvent, à travers une France rendue à l’anarchie, déchirée entre soldats gouvernementaux, sanguinaires Bourguignons et « Supermuslims » fanatiques. Sur le papier, autant de raisons pour son éditeur de refréner ses ardeurs, de l’aiguiller vers autre chose, de lui expliquer posément que là franchement, ça fait quand même un peu beaucoup.

Forêt-Furieuse

Le résultat s’impose pourtant comme une éclatante réussite. Implantant son action dans un futur aussi proche qu’indéfini, aussi merveilleux que cauchemardesque, et en des lieux volontairement mal détourés, l’auteur s’offre le luxe de mêler sans vergogne appréhensions très contemporaines et ancestrales superstitions -la proximité immédiate d’une forêt l’autorisant par exemple à la peupler d’une femme-arbre, de gosses rendus à l’état sauvage, de bergers castagneurs déguisés en femmes, de miliciens plus ou moins défroqués, de chasseurs plus ou moins barbus.

Sur la chronique effrayante d’une sorte d’hospice Montessori dédiée aux orphelins déglingués par des combats de moins en moins lointains, terrain de jeux puérils et violents entre tortionnaires « strongues » et « bitches » victimes, Pattieu vient greffer amourettes entre invalides et lynchages terrifiants, éternelle guéguerre ville/campagne et décès brutaux d’enfants, jusqu’à la longue expédition des mômes survivants, entre carnaval de freaks et roman d’apprentissage accéléré. Un slammeur scande la route en troubadour, de charmantes fillettes se rêvent princesses sous les bombardements, toute la troupe oscille toujours entre inépuisable imagination et abruptes réalités d’un monde en charpie. Conçu comme une « histoire d’enfants perdus », le roman estomaque autant qu’il électrise.

De Sylvain Pattieu, éditions La Brune au Rouergue, 654 pages.

9

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content