ESSENTIELLE À LA RÉUSSITE FESTIVALIÈRE, LA QUALITÉ DU SON NE DÉPEND PAS SEULEMENT DU PEDIGREE DE LA « SONO »MAIS D’UNE COMPLEXE ÉQUATION À LA FOIS TECHNIQUE ET INTRINSÈQUEMENT HUMAINE. PROPOSITION DE DÉCRYPTAGE.

« En 2000, Motörhead débarque à Dour, le groupe vient de virer son ingé son. Je vois alors ce petit vieux tester le micro de Lemmy sur scène avec pas moins de six retours devant lui. Les equalizers sont dans le rouge et le mec redemande du volume, le technicien scène s’affole, pas de doute: les gars sont sourds. Au concert, Lemmy s’interrompt au premier morceau et hurle de pousser encore. En fin de set, tous les aigus des haut-parleurs de devant étaient bousillés. Il n’y avait plus aucun grave, c’était atroce.  » Ingé son autodidacte, 57 ans, Marco Gudanski a 30 années de métier qui l’ont mené, entre autres, à Dour ou Couleur Café, ce dernier pendant quasi 20 ans. « Dans les années 70, explique Gudanski, les caisses étaient séparées par élément -basses, mediums, aigus- dans des empilements baptisés « châteaux »: plus on avait besoin de puissance, plus les caisses s’empilaient. La technique a grandement évolué lorsque les enceintes ont été disposées en multi-points de l’espace à couvrir et non plus seulement sur scène.  » Lorsqu’en 1994, Couleur Café déménage de la carlingue métallique des Halles de Schaerbeek à la (semi-)plaine de Tour & Taxis, le plein air semble une bonne équation. « A priori, le vrai plein air est plus facile au niveau de la sonorisation: il nécessite beaucoup de puissance mais c’est là que tu peux avoir le meilleur son. A condition de ne pas être entouré de murs et d’avoir des systèmes d’accrochage performants. Quand le son rencontre un obstacle, il peut produire des réverbérations et accentuer certaines fréquences désagréables à l’oreille, les mediums aigus, et donner un son agressif, pas du tout chaud.  » Le chapiteau n’est pas non plus gagné d’avance, les bâches plastiques ayant la fâcheuse tendance à jouer au ping-pong sonore. Gudanski: « Il faut alors essayer de trouver des solutions acoustiques: au Festival de Jazz de Gand, le chapiteau de 8000 personnes sonne mieux qu’une salle de spectacle parce qu’il a été recouvert de tissu sur ses faces extérieures.  »

Arme fatale

En 1969, la puissance de la sono du festival de Woodstock est de 12 000 watts: aujourd’hui, c’est le montant usuel d’une jauge de 500 places… Les chiffres actuels naviguent plutôt entre 40 000 et 80 000 watts selon le festival. Ce dernier chiffre rougit quand Metallica écrase Werchter de son rouleau maniaque. « Le volume n’est pas tout: parfois, on se retrouve avec 100 dB -une norme acceptable- et il n’y a que des aigus. Avec la même installation dans des conditions semblables, le son peut être formidable ou exécrable. Un bon ingé son doit s’adapter aux circonstances. Il est toujours nécessaire d’estimer le genre musical, d’analyser le lieu -plein air, chapiteau, hall, zone urbaine ou plaine- ainsi que la dimension de l’espace à couvrir et le nombre de spectateurs pressentis.  » Sorti ingé son de l’IAD en 1982, Vincent Tempels est le boss d’Arto, une vingtaine de plein temps du côté de Wavre. « La boîte est spécialisée en son et en éclairage, on fait des événements privés, des concerts et bien évidemment des festivals: depuis trois ans, on est à Couleur Café, depuis une dizaine d’années aux Francos de Spa, on a fait Esperanzah, on travaille pour les Liégeois de C-Live ou pour Live Nation. On vient de gérer le chapiteau des Nuits Bota.  » Dans l’impressionnant entrepôt de 1600 m² au sol d’un zoning industriel passe-muraille s’entasse pour « dix millions d’euros » de matériel, essentiellement haut de gamme: « C’est un choix parce qu’il se déprécie moins vite et c’est ce qui est demandé dans les fiches techniques. On n’achète pas de low-cost.  » Tempels présente son dernier bébé, une sono Nexo STM, de conception française, à 600 000 euros… Composée de 36 systèmes, modulable, elle contient ce qui, depuis une dizaine d’années, est devenu l’arme fatale du concert: le line array. « C’est un système qui permet de distribuer le son, d’une courte à une longue distance, du devant de la scène à 100 mètres ou plus, donc idéal pour un large espace comme celui d’un festival. Les enceintes sont prévues pour s’empiler, en hauteur, avec un angle de projection réduit: plus on va les coupler, plus le son va porter loin. La diffusion est aussi plus harmonieuse sur le terrain ou le chapiteau, les fréquences mieux réparties, la puissance davantage contrôlée. On oublie souvent que les haut-parleurs ont une couleur, un timbre: la restitution du son est actuellement plus riche qu’il y a trois ou quatre ans.  » Mais un line array mal réglé et Vincent parle de « catastrophe » dans un métier où l’ingénieur du son est désormais « caleur de système« . Tempels: « Il faut désormais avoir des connaissances en informatique comme en acoustique, gérer les aspects mécaniques, les problèmes de charge. A Couleur Café, par exemple, l’open air doit éviter la pollution sonore vis-à-vis du voisinage mais oblige aussi à une diffusion plus directive pour éviter de pirater le son des autres scènes.  » En 30 ans, Vincent a appris à dompter la Place de l’Hôtel de Ville des Francos spadoises, « difficile parce qu’asymétrique« , ou à répondre à la demande du Brussels Summer Festival d’installer, sur la Place des Palais, la console de mix à 70 mètres de la scène. « Le son fait 340 mètres par seconde, à 70 mètres, cela donne un écho froid. Il a fallu prévoir un second système à 50 mètres de la scène…  » Jamais rien n’est gagné d’avance. Au BSF en 2010, BB Brunes donne un concert dans des conditions dantesques: « Il pleuvait sur scène, il y avait de gros risques électriques, on a tout passé en micro HF, le groupe a pu jouer.  » Parfois, cela se passe moins bien: toujours au BSF, Vincent est convoqué après une soirée rock/DJ’s en bordure du Musée Magritte, les vibrations live ont fait bouger les précieux tableaux! Le lendemain, le volume aura maigri.

Werchter sur paradis

« Techniquement, Werchter est le plus beau festival au monde. En tournant aux quatre coins du globe, du Brésil à l’Australie, je me rends compte que la Belgique est hautement appréciée au niveau de la technique comme de la sonorisation.  » Olivier Gérard, 48 ans, Flandrien de parents wallons, n’est pas porte-parole de Live Nation mais ingé son live de Simple Minds. « Je mixe les concerts de ces « dinosaures » depuis 2008, à plein temps depuis l’année dernière où nous sommes passés au Marquee de Werchter. Le groupe amène tout avec lui, sauf les enceintes de scène. Donc sa propre table de mix, une Midas Pro 6, digitale. Les réglages de chaque chanson y sont programmés, ce qui permet d’arriver à des résultats sonores assez exceptionnels. Même si en festival, selon sa position à l’affiche -Simple Minds est généralement en milieu de tableau-, on n’a de temps que pour un line check, où on teste juste les lignes, histoire de voir que la guitare n’est pas câblée sur l’entrée basse par exemple.  » Olivier a beaucoup bourlingué, à Dour il y a 15, 20 ans comme simple technicien -« les volontaires déchargeaient le matos mais, parfois bourrés, oubliaient éventuellement de le recharger, cela a dû changer… « -, une décennie et demie avec Maurane ou encore ingé son chargé des retours de scène avec dEUS, « capables de transformer le chaos du concert en un grand moment« . Jamais rien de gagné donc: « Simple Minds veut que le public en ait pour son argent: au moindre souci de son, tu dois t’expliquer. Le niveau doit être top et il n’y a pas d’excuse sauf quand le matos te lâche comme récemment à Newcastle où l’ordi de la table s’est planté et qu’il a fallu tout rebooter. Le public a tendance à penser que c’est forcément la faute du mixeur: va-t-en leur expliquer qu’en Allemagne, il y a quelque temps, le côté droit de la sono foutait le camp simplement parce que l’alimentation électrique ne tenait pas le coup. Et que, bien sûr, je ne pouvais strictement rien y faire…  »

TEXTE PHILIPPE CORNET

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