Fécondes contaminations

© "Dérivée", une oeuvre cosignée par Obêtre, Luis Pôlet et Parole
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Une galerie peut-elle encore se transformer en plateforme d’expérimentation n’ayant pas le profit pour seul horizon? oui, répond Sébastien Marandon.

Images vivantes

Parole, Obêtre et Luis Pôlet, galerie LesbroussART, 96 rue Lesbroussart, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 23/06.

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C’est un projet comme l’on n’en voit que peu. « Un projet qui marche au troc, à l’échange, sur lequel personne n’est payé« , comme le précise d’emblée Sébastien Marandon, le curateur. Curateur, vraiment? En réalité, pas tant que ça, l’homme est avant tout un professeur de français que la passion pour les arts plastiques pousse à rédiger des textes, à faire des conférences. C’est au cours d’une de celles-ci qu’est née la trame d’Images vivantes. « Dans la droite ligne de W.J.T. Mitchell, j’ai une perception animiste des images, j’ai tendance à leur appliquer les caractéristiques du monde vivant. Pour moi, elles se reproduisent, se propagent, sont animées par des désirs, ont une existence propre. Partant de là, je me suis dit que dans la mesure où les plasticiens Obêtre, Luis Pôlet et Parole avaient partagé pendant longtemps un atelier, leurs oeuvres qui avaient « dormi » ensemble s’étaient forcément mêlées d’une façon ou d’une autre. Une galeriste m’a pris au mot et m’a demandé de faire une proposition sur cette base. »

Étranges métabolismes

Il n’en fallait pas plus pour qu’Images vivantes voie le jour. Sauf que. Sauf que lorsque l’on propose de nouvelles règles de jeu à des faiseurs d’images, il est difficile de savoir où tout commence et où tout se termine. Le début? Un pan de mur de la galerie LesbroussART le matérialise: il s’agit d’un amas de lettres fixées au mur. Avant de se lancer dans l’aventure, les protagonistes ont entretenu une conversation épistolaire autour d’une dynamique imprégnée par la contamination et l’infection. Les protagonistes? Oui, le curateur amateur et les trois plasticiens précités. à savoir, Obêtre, plasticien issu du graff dont on connaît les « graffitectures » ainsi que les interventions politiques et contextuelles; Luis Pôlet dont les tableaux s’écrivent entre le gesso et la rayure; Parole, qui s’est fait connaître à travers ses calligraphies invasives. L’arrivée? Magnétique, elle occupe un autre pan de mur à la manière des galeries telles qu’a pu les peindre un David Teniers le Jeune. Y convergent les énergies nées à la fois d’un travail collectif et individuel mais également les injonctions instillées par Sébastien Marandon. L’oeil s’y perd en points d’interrogation. Où s’arrêtent les interventions de chacun? Comment un plasticien s’empare-t-il d’un autre travail à la façon d’un corps qui métabolise ce qui lui est extérieur? à l’évidence, le collectif n’est pas la simple compilation des individualités, il est lui-même une créature, une hydre. Au fur et à mesure de l’accrochage, qui est prolongé par une fresque murale à l’extérieur, le mystère s’épaissit en de nouveaux dispositifs et confrontations -notamment avec les photographes Sophie Saporosi, Ian Dykmans et Silvano Magnone ou encore le vidéo mapping assuré par Baudry Deglimes du collectif Les Metteurs en pièces. Sans parler de dimensions additionnelles telles que la sédimentation -à l’image du corail, tout ce qui s’élabore le fait sur des couches préexistantes-, la performance, l’intervention de conférenciers -Laurent Courtens, Delphine Florence…- et la musique -Jordi Grognard du groupe d’éthio-jazz Yôkaï. Dense et haletant.

www.lesbroussartgallery.be

Michel Verlinden

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