24 octobre 2009, Morrissey s’évanouit À l’entame d’un concert anglais: la nouvelle laisse la planète Moz pétrifiée à l’idée que l’idole misanthrope tire sa révérence majeure de façon prématurée…

This Charming Man

Morrissey est un exceptionnel cas de fantitude. On peut tout projeter sur sa personne, il ne dément jamais, rarement, vaguement, botte en touche, joue de la dérision sur les sujets du sexe, de la religion ou du nationalisme. Il pense Oscar Wilde mais cite les New York Dolls, mouille sur Marc Bolan mais pose comme leader craignos d’un gang rockabilly de droite: ce mec est le Kasparov du rock, stratège, courant d’air idéologique et sous-marin sexuel. Qui montre ses pectoraux mais renâcle à tout contact physique avoué. Cela veut dire qu’on peut aussi lui accoler ses propres fantasmes: ils semblent absorbés dans ce grand corps spongieux à mâchoire prognate. Morrissey est un prototype d’autant plus rare d’universalité qu’il est ancré dans une réalité anglo-saxonne très forte, exacerbée, exagérée, fantasmée. Dans un paysage musical industriel où tout semble prédigéré, il reste un potentiel mystère ou, plutôt, joue extrêmement bien à en être un.

Viva Hate

« Quand j’ai entendu qu’il avait eu un malaise , c’est comme si le sol s’était dérobé sous mes pieds ». Anne a 33 ans, habite en Flandres et s’est fait tatouer, à plusieurs endroits stratégiques, quatre titres du Moz, dont le convivial Viva Hate. Ouvrière, mariée à un non-fan de Morrissey, elle découvre le coco il y a 3 ans à peine:  » Je l’ai vu à la télévision, il m’a laissée perplexe et deux jours plus tard, je suis allée acheter tous ses disques. Cela peut sembler stupide mais je le considère comme une sorte de Dieu (sic) , un compagnon pour les jours où la vie ne semble pas valoir la peine. Il y a trois ans, je me suis retrouvée à l’hôpital, au bord de la mort, et là, je me suis mise à écouter Morrissey, j’ai éclaté en sanglots et je l’ai remercié d’être en vie. » Fan hardcore, Anne boit Morrissey jusqu’à la ciguë de ses paroles les plus provocantes:  » L’homme a raison sur toute la ligne: il semble que pour chaque mauvaise chose de la vie, il ait une chanson. Dans certaines de ses paroles, je ressens profondément ce que je suis incapable d’exprimer. En écoutant ce qu’il chante, je réalise que la vie peut être beaucoup plus terrible que je ne la ressens, j’ai même commencé à croire en Jésus après I Have Forgiven Jesus . » Anne n’a pas oublié que Morrissey lui a serré la main, en concert à Lille l’an dernier. Mais elle se l’est néanmoins lavée depuis lors…

The First Of The Gang To Die

Anne n’est pas la seule fan femelle du grand homme. Julia Riley, une Américaine, publie True To You, un zine dédié à Sa Grandeur. On dit d’elle qu’elle a vu tous les concerts depuis 1997. Comme Anne, Julia pense peut-être que  » Morrissey n’est pas misogyne, il déteste juste les gens en général (sic) . Le machisme déconcertant de Morrissey est à la base de la fièvre qu’il déclenche depuis quelques années dans le public latino aux Etats-Unis, particulièrement en Californie. In Moz Angeles, des bandes hispaniques se tatouent des slogans de vénération ébahie, façon in Moz We Trust. D’où ce look rigoureusement anti-Manchester. Allure plus proche du gang de barbares que des joueurs de billard du Salford Lads Club. Dans des documentaires tels que Passions Just Like Mine, Viva Morrissey ou Is It Really So Strange – tous consacrés aux fans latinos -, les admirateurs expliquent combien leur dévotion est profonde, voire combien « Morrissey nous a sauvé la vie ». La culture viscéralement britannique du chanteur – résident occasionnel californien – est d’ailleurs traduite par des groupes tels que Sweet & Tender Hooligans en espagnol. Ce qui donne une pointe inattendue de sucré au vinaigre briton. Les spécialistes tracent aussi un parallèle entre le style volontiers mélo de Morrissey et la tradition de la ranchera mexicaine, un genre dérivé du mariachi, chanté par des hommes avec détermination et sensualité… Il y a aussi, dans la culture latino – en particulier mexicaine -, la volonté de théâtraliser les incertitudes de la vie, de les sublimer jusqu’au morbide. En d’autres mots, du pur Morrissey, dont le fameux There Is A Light That Never Goes Out évoque spectaculairement le Cama de piedra de Cuco Sanchez, légende disparue en 2000!

The World Will Listen

 » Je crois que ces latinos ont trouvé en Morrissey un symbole contre toutes les oppressions. De plus, ces fans qui viennent du Mexique, du Guatemala ou d’autres pays d’Amérique latine, qu’ils soient nés ou pas aux Etats-Unis, peuvent s’identifier au background prolétaire de Morrissey ». Morrisseyologue de circonstance, Vincent Van Malderen, 31 ans, s’occupe d’un des fan clubs officieux belges du mancunien (www.theworldwilllisten.be). Il semble assez atypique du fan de Morrissey -peut-être le sont-ils tous… – même si son anglophilie est prononcée, il recadre son héros avec les paramètres de sa propre vie. Responsable au Selor fédéral de recrutement, Vincent ne juge pas le chanteur masqué particulièrement raciste ou xénophobe:  » Oui, il cultive une certaine image virile, oui, il s’intéresse aux skinheads et brandit l’Union Jack mais on peut considérer que c’est davantage une déclaration d’amour à la culture anglaise qu’autre chose. Morrissey vit dans le passé, idéalise évidemment sa culture nationale. Mais c’est comme le questionnement de sa sexualité, il peut être asexué, peut-être pas, ce qui est important, c’est qu’il nous dit que les rôles ne sont pas figés, qu’il y a de l’espace en-dehors des règles. » Vincent, attrapé à l’aéroport de Zaventem, part dans quelques minutes à Marrakech avec sa femme et leur jeune fils. Car oui, même les fans de Morrissey prennent des vacances.

Morrissey en concert à Forest National le 14 novembre,

www.livenation.be

Texte Philippe Cornet

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