AUTEUR, AVEC LES OSS 117, DE SAVOUREUX PASTICHES, MICHEL HAZANAVICIUS SIGNE, AVEC THE ARTIST, UN VIBRANT HOMMAGE AU CINÉMA MUET, RAVIVANT LE HOLLYWOOD DES ANNÉES 20. MAGIQUE.

Il plane, sur cette terrasse d’une résidence voisine de la Croisette, comme un parfum de douce euphorie. Présenté la veille, The Artist ( lire la critique page 31), l’invité de dernière minute de la compétition cannoise, a déchaîné l’enthousiasme de la critique -inespéré, pour une comédie, muette et en noir et blanc qui plus est. La belle histoire ne s’arrêtera d’ailleurs pas là, puisque le film vaudra à Jean Dujardin un prix d’interprétation nullement usurpé, auquel il aura l’élégance d’associer sa partenaire, Bérénice Béjo. Pour l’heure, Michel Hazanavicius et ses 2 acteurs savourent. Les rires fusent de la table voisine, où sont installés les comédiens. Quant au réalisateur, l’auteur auparavant, avec les 2 OSS 117 d’autant de savoureux pastiches, il revient par le menu sur une aventure moins insensée à l’autopsie qu’il n’y paraissait de prime abord… « C’est vrai qu’au départ, il y avait un risque, opine-t-il, mais moins pour moi que pour les producteurs. Moi, j’avais l’envie et la volonté de tourner un film muet. J’avais cela en moi, et je pouvais imaginer qu’à condition de s’entourer des bons partenaires, et à force de travail, le processus déboucherait sur un bon film. C’est différent pour un producteur, qui doit faire confiance à quelqu’un d’autre, c’est quelque chose de fou. Je ne me considère pas comme fou, mais Thomas l’est… « 

Thomas, c’est Langmann, le fils de Claude Berri, acteur avant de devenir producteur à succès, avec à son actif des titres comme Le boulet, le diptyque Mesrine ou encore Astérix aux Jeux Olympiques, qu’il a lui-même réalisé. Entre les 2 partenaires, la rencontre était pour ainsi dire programmée; elle mettra pourtant un certain temps à se dessiner. « Thomas avait vraiment envie qu’on travaille ensemble, et il m’a proposé de nombreux projets, que j’ai déclinés, comme le remake de Fantomas », raconte Michel Hazanavicius. Et pour cause: le réalisateur pense déjà à The Artist, idée qu’il soumet à d’autres producteurs qui reculent devant la difficulté présumée de l’entreprise. Retour chez Langmann, à qui il propose de réaliser son Fantomas, mais sous forme muette, et en noir et blanc. Inapplicable en l’espèce, le concept séduit néanmoins le producteur. « Il m’a rappelé pour me dire que si je souhaitais tourner un film muet en noir et blanc, il serait derrière moi.  » Un peu plus tard, le réalisateur boucle son scénario. Langmann est emballé; la production peut débuter.

Fantasme réalisé

Au c£ur du film, le destin d’un homme, George Valentin, superstar du muet que l’arrivée du parlant va précipiter sur la voie de l’oubli, à l’exact opposé de Peppy Miller, jeune figurante à la veille d’une irrésistible ascension. Entremêlant leurs destinées avec maestria, The Artist fait converger drame et romance, dans un cocktail rendu plus savoureux encore par une solide dose d’humour, et les partitions renversantes de Jean Dujardin et Bérénice Béjo. Au-delà, il y a là un vibrant hommage à une époque et à un cinéma, faisant revivre le Hollywood des années 20 et 30. A cet effet, la production n’a pas hésité à mettre les petits plats dans les grands, puisque le film a été tourné in situ. « C’était un véritable plus de tourner à Hollywood, parce que tout est rigoureusement exact. Un de mes plans préférés du film, c’est celui avec le public: j’ai le sentiment que tout est précis, le public, les coiffures, les costumes. Je suis certain que je n’aurais pas pu l’obtenir ailleurs: on est en Amérique, et ces gens ont l’air d’Américains. Et cette même exactitude se retrouve pour les plateaux, les décors… « 

Soit le fantasme réalisé d’un film français tourné à Hollywood, avec, cerise sur le gâteau, le concours de quelques acteurs du cru, au premier rang desquels John Goodman. « Je lui avais envoyé le scénario, il l’a lu, et a demandé à me rencontrer. J’ai eu l’impression que le processus était inversé, et que c’était moi qui passait un casting, sourit Hazanavicius. Mais après 3 minutes, l’affaire était réglée. «  Quant à James Cromwell, l’acteur de L.A. Confidential, il ponctuera leurs 2 heures de conversation d’un « OK, I’ll be your lady ».

L’un des (nombreux) charmes du film tient assurément à la façon dont ses acteurs incarnent l’époque -Jean Dujardin est ainsi particulièrement bluffant, qui passe sans sourciller d’un registre à la Douglas Fairbanks à un autre, plus tragique. Un tour de force, si l’on considère que tous ont vu leurs repères bouleversés, étant privés de l’usage de la parole. « Je voulais qu’ils fassent le même boulot qued’habitude. Bien sûr, ils ont dû travailler différemment, mais mon ambition, c’était de leur dire que je prenais la responsabilité de l’histoire. Ils n’avaient pas à s’en soucier, et devaient se contenter d’être le personnage et de respecter la situation. » Histoire d’amener ses comédiens à l’humeur requise, le réalisateur mettra de la musique sur le plateau. Quant au parfum années 20, il l’obtiendra par divers artifices: « J’ai tourné le film en 22 images secondes, par exemple, ce qui les fait bouger un peu plus vite. Ils n’ont pas à jouer années 20, ils n’ont qu’à être naturels, mais c’est un naturel qui semble années 20, parce que cela correspond à la conception que l’on a de l’époque. Personne ne bougeait plus vite alors, mais c’est pourtant ce que l’on imagine dans notre inconscient. La représentation importe plus que la réalité… »

A l’encontre des préjugés

La réalité d’alors, c’est aussi celle d’une période de transition, un aspect auquel Michel Hazanavicius n’était certes pas insensible: « L’idée même de la transition est plus importante à mes yeux que le passage au parlant. Cela touche directement à notre vie. Au cours du siècle dernier, ce qui a changé et qui s’est imposé dans sa nouveauté, c’est le rapport entre le rythme de la vie humaine, et celui auquel le monde évolue. Au XIXe siècle, on naissait dans un monde, et on mourait dans le même. Ce n’est plus le cas aujourd’hui: on naît dans un monde, et on meurt dans un autre, qui n’a rien à voir. En un claquement de doigts, nous sommes tous susceptibles de nous retrouver déclassés, et cela peut s’appliquer au couple, au travail, n’importe où.  » De quoi donner à The Artist une résonance intemporelle, en plus du cinglant démenti qu’il apporte à ceux qui ne verraient dans le cinéma muet que vieille breloque poussiéreuse: « Les préjugés sont notre pire ennemi, à savoir ici, le sentiment que pourrait avoir le public d’aller non pas au cinéma mais au musée, avec la crainte de s’ennuyer. Mais, sans vouloir me comparer à lui, qui aurait le front, aujourd’hui, d’affirmer que Chaplin est ennuyeux? » Poser la question, c’est déjà y répondre…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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